Dès son plus jeune âge, et plus précisément à trois ans déjà, Ariana Pirela Sanchez a développé un intérêt très poussé envers la danse. Elle a commencé par des cours de danses traditionnelles galiciens, une ode aux origines de sa famille qui vient de Galice en Espagne pour ensuite enchainer avec ceux de danse traditionnelles vénézuéliennes, de jazz et de gymnastique. Antérieurement, elle a pratiqué la natation jusqu’à un haut niveau compétitif et depuis, son intérêt envers les pratiques corporelles et le sport n’a jamais cessé de grandir.
Des études universitaires la mènent à l’Université catholique Andrés Bello de Caracas au Venezuela où elle ressort avec un baccalauréat en communication avec une majeure en arts audiovisuels. Et pendant toutes ces années, la flamme de sa passion pour la danse ne s’étant jamais éteinte, elle prenait des cours dans différentes écoles pour, au final, décider de poursuivre des études professionnelles en danse. Ayant trouvé l’École de danse de Québec, elle y débarquait pour la formation professionnelle en danse contemporaine et brandissait en 2014 son diplôme.
Et depuis lors, Ariana n’a arrêté ni de danser ni de faire la création.
Ariana, tu es interprète, chorégraphe, chercheuse et professeure de danse, tu nous viens de Puerto Ordaz, Venezuela. À Montréal, tu as présenté ton travail chorégraphique, entre autres, à XP_Mtl, au Festival Vue sur La Relève, Cuisine Ta Ville en 2019. Peux-tu nous en dire plus sur toi ?
Je crée Para la guerra nada, présentée au Festival Symbiose 2016 à Québec et participe la même année mais aussi en 2017 à une résidence de création et mentorat avec le chorégraphe Tedd Robinson au Centre Q. Une pièce intitulée I’m not her ainsi que mon premier solo Manos de Mujer naissent de là. Je présente mes œuvres en 2017 au New Blue Dance Festival à Toronto et au festival Phenómena puis en 2018 à Cuisine Ta Ville et au Festival Vue sur la Relève.
En 2019, je crée et autoproduis le projet de vidéo-danse #100ShortDances et présente la pièce Yo soy así à XP_Mtl. Cette même année, j’ai l’occasion de participer en tant que conférencière au colloque sur le patrimoine culturel à l’Université San Gerónimo de La Havane à Cuba.
En 2020, je réalise, pour la première fois, des performances en ligne et dévoile le solo Il restera trois choses dans l’évènement On est juste en ligne organisée par le Forum Jeunesse de l’Île de Montréal. La pièce Résonance arrive aussi et est présentée au Festival Revolution They Wrote et au Festival de danse servi au volant à Sherbrooke.
Parlons de #100ShortDances ! Comment est né ce projet et quel est l’enchainement créatif derrière ?
De mon besoin de danser plus. Été 2019, je trouve que je ne danse pas assez. #100ShortDances est né donc de ce besoin tout simple et est devenu alors une manière concrète de traduire ce dernier. Toutefois, en approfondissant plus, je me rends compte que c’était, en réalité, une façon d’explorer quotidiennement mon actualité corporelle et en lien avec mon vécu et ce qui m’entoure. Finalement, #100ShortDances est devenu une étude corporelle de mon espace et les réactions physiques de mon corps envers les réalités environnementales, économiques et sociales m’entourant et celles plus sensibles comme les émotions et sentiments de mon quotidien.
Chaque jour et ce pendant 100 jours, je m’inspire de mon environnement et de mes ressentis. Je danse en absorbant les énergies des choses autour de moi et en moi ; le tout, sans musique la plupart du temps et en puisant uniquement mon inspiration dans mon vécu, mes sensations et mes inquiétudes du moment. Parfois, de manière consciente et d’autres fois, ces sensations s’expriment seules dans la danse. Je me questionne : Qu’a à dire mon corps ? Quelle tension, joie ou tristesse vit-il ? Comment je me sens et cela se traduit de quelle façon dans le mouvement de mon corps ? Un journal de mouvements s’écrit. Il parle des vicissitudes qui recouvrent une femme, une artiste, une immigrante dans son vouloir d’être ; le combat acharné qu’elle doit mener pour être femme, artiste et immigrante ; la lutte pour être. Être, c’est ça le défi ! Être dans la migration, être dans l’écosystème social, être dans la biodiversité, être dans la féminité…
Une fois la vidéo faite, je la visionne pour comprendre le propos de la danse, lui trouve une musique pour accompagner celle-ci, fais le montage et, avec le langage visuel de la vidéo, j’accentue ce propos.
En utilisant des ressources minimalistes à la portée de la main telles que mon cellulaire et mon ordinateur, je crée un environnement alternatif de création ; des danses qui, non seulement sont une étude artistique mais aussi un moyen de la résilience.
Ce besoin criant de m’exprimer et de partager mon art devait être satisfait.
En arborant ce projet à partir d’une vision écoféministe, j’ai utilisé les ressources autour de moi et j’ai mis le corps d’une femme au milieu du sujet d’étude comme réceptrice des différentes réalités : économiques, sociales et environnementaux. Le résultat, c’est des mouvements qui montrent la réalité du corps dans différents contextes quotidiens.
J’ai décidé de repenser par moi-même non seulement le futur de ma pratique artistique mais de façon spécifique, le présent de mes réalités aussi. Au travers de mes réactions corporelles et par la création des mouvements, j’ai exploré les tensions et relâchements que mon corps garde en relation avec l’environnement, l’économie et les enjeux sociaux mais aussi la relation qu’il garde avec lui-même et avec ses émotions.
Une danse par jour pendant 100 jours et durant lesquels j’ai mis en place le corps et sa propre intelligence. J’ai abordé et étudié mes inquiétudes d’une manière incarnée dans le corps. Quelle est ma place dans la société ? Mon échelle individuelle suffit-elle pour produire un changement ? Jour après jour et selon mes réalités quotidiennes, j’ai exploré l’anxiété en lien avec l’économie, la difficulté à faire de l’art ou à avoir plusieurs emplois, la joie de m’exprimer via la danse, le plaisir d’être en mouvement, la satisfaction de me questionner à travers mon corps et la discipline que cela me demandé.
L’expression scénique de tes danses nous a impressionné.e.s. Comment travailles-tu tes émotions ?
L’émotion est pour moi, tout comme la nature ou encore les enjeux politiques, une grande source d’inspiration pour mon langage corporel et pour l’esthétique de mon univers chorégraphique. Elle y est toujours présente, qu’elle soit apportée de manière poétique, sensuelle, gestuelle, ludique ou incisive. Je crois que les émotions nourrissent mes mouvements et ceux-ci peuvent les accentuer, les faire évoluer et même les faire changer complètement.
Comment je travaille mes émotions ? Je pense que je ne les travaille justement pas ; je ne les cache pas non plus ! Je les mets au-devant et les utilise comme langage.
Je travaille beaucoup sur l’aspect autobiographique ce qui m’amène forcément à avoir beaucoup d’émotions dans mon langage. L’autobiographie et les émotions me permettent d’étudier des aspects de moi-même que je souhaite des fois creuser, exagérer et comprendre pour ensuite les exposer au public. C’est thérapeutique.
Parle-nous de ton processus artistique ?
Je travaille beaucoup avec la quotidienneté. Il y a quelque chose qui me fascine dans les gestes que nous répétons et les actions que nous décidons de réaliser chaque jour.
En général, tout commence avec une petite idée venant d’un ressenti ou d’un fait vécu, lu ou écouté quelque part. Parfois, ça peut venir de la musique et de ce qu’elle produit dans mon corps et d’autres fois, des sujets me touchant et portant sur des injustices et les enjeux politiques et environnementaux. Cependant, les relations humaines peuvent aussi entrer en jeu. Quant à l’intuition, elle joue un grand rôle que j’arrive difficilement à décrire. C’est comme une petite voix qui me parle et me fait ressentir ce que je dois dire ou exprimer. Il arrive que je l’écoute plus fort ou qu’elle décide de parler plus doucement.
Une fois ma compréhension faite et le choix du sujet ou de la méthode de création, l’écriture et la recherche intellectuelle débutent. Je lis sur le sujet, regarde ce qui a été déjà fait et cherche de l’inspiration. J’écris un texte qui va souvent me guider pour le début du processus. En studio, la première étape est d’explorer physiquement ces idées avec l’aide des improvisations dansées qui, tout en dépendant du sujet, sont faites en silence ou avec la musique. À partir de ses explorations, je prends les ressentis émotionnels et physiques attirant plus mon attention et je commence à les approfondir. Pour m’aider, je me filme très la plupart du temps et en visionnant les vidéos, je réfléchis à ce qui peut servir à mon sujet de recherche. Petit à petit, je commence à construire les séquences et l’histoire à l’intérieur de la danse.
Quelles sont pour toi les principales difficultés de ce milieu ?
Ce n’est pas un secret que les arts rengorgent beaucoup de difficultés. Le milieu des arts scéniques et celui de la danse plus spécifiquement manquent de reconnaissance avec moins de financements et vivant très souvent dans des conditions de précarité. D’ailleurs, ce manque de reconnaissance est, selon moi, dû principalement au bas niveau de diffusion que les œuvres de danse reçoivent et à l’inscription de ces arts dans la vie citoyenne.
Si tu ne devais garder qu’un seul souvenir, lequel serait-ce ?
N’importe quel moment de joie dans une réunion avec tous les membres de ma famille.
Pour finir, peux-tu nous parler de tes projets ?
Actuellement, je travaille sur mon prochain spectacle Deux solitudes dans une même présence qui sera présenté en Mars 2021 à Montréal Arts Interculturels. C’est un solo de danse qui aborde la (re)construction de l’identité à partir du déracinement et du corps en exil. C’est un spectacle avec, bien évidemment, danse mais aussi poésie, projections visuelles et vidéos.
Par ailleurs, je collabore également dans des projets vidéo et performance avec l’artiste visuel américain Janette Hopper et développe une série de vidéos avec poésie et danse avec la poète et écrivaine vénézuélienne/espagnole Rosa Trujillo.
Pour finir, je réalise de la recherche avec l’artiste Camille Trudel-Vigeant pour un projet de co-création d’un œuvre de danse et d’art numérique avec des citoyens.