Pousser la réflexion aux frontières de la science et de l’art… C’est le travail de l’artiste plasticien Mbaye Babacar Diouf. Sa vision philosophique s’exprime pour lui en une symphonie de symboles. Après tout, quel meilleur moyen de laisser une trace de son vivant ? L’écriture libère et emmène l’esprit au-delà de la matière.
Mbaye Babacar Diouf est un artiste plasticien, professeur d’éducation artistique plastique. Il est diplômé de l’École Nationale des Arts (ENA), et titulaire d’un Master II à l’Institut Supérieur des Arts et de la Culture (ISAC) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Peintre, dessinateur, sculpteur, Mbaye Babacar Diouf expose au Sénégal et dans le monde depuis 2004. Il fait partie de la sélection officielle du Dak’Art 2016 et a déjà exposé en France, au Maroc, à Cuba, au Mali, etc. La signature de Mbaye Babacar Diouf fait partie de la collection privée de l’État du Sénégal. Il a été primé à plusieurs reprises par des structures telles que l’Agence Nationale de la Démographie et de la Statistique (ANDS), L’Agence de Développement et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPME), l’ambassade d’Italie à Dakar, l’Organisation Sénégalaise de Lutte contre la Corruption (OFNAC) ainsi qu’aux Jeux de la Francophonie. Ambassadeur culturel du Sénégal, l’artiste l’est aussi sur le plan sportif. Il a fait partie de l’équipe nationale de karaté de son pays et a été plusieurs fois médaillé d’Afrique dans cette discipline. Il vit et travaille à Dakar. Sa recherche se base sur le rythme.
À la question « Qu’est ce que la vie ? » Babacar pourrait répondre que c’est une dynamique de répétitions.
Voici quelques interrogations qui lui ont été posées pour décrypter la complexité de son œuvre.
Peux-tu faire une présentation personnelle de ton parcours, en lien avec ta vie et ton métier d’artiste ?
B : Je me suis intéressé à l’art et plus particulièrement au dessin depuis l’enfance, je reprenais les dessins sur mes livres. Je griffonnais toujours sur mes feuilles et sur ma peau dès que j’avais un objet pointu et fin… Peu à peu, la passion s’est installée et je ne pouvais plus m’en passer.
Chaque année, je gagnais en technique et en maturité.
Au collège, j’avais un prof d’art à qui j’ai eu l’idée de demander comment faire pour intégrer l’École Nationale des Arts. Il m’avait conseillé d’attendre après le Baccalauréat. J’avais là un objectif clair et net. Après le Bac, j’ai réussi au concours direct de l’École Nationale des Arts. J’étais premier (2003).
Après une formation de 4 ans, j’ai eu le diplôme d’Études Supérieures en Éducation Artistique Plastique (2007), ce qui m’a permis d’être enseignant d’art dans le cycle moyen secondaire.
Mais au fond, je savais que je ne pouvais me limiter à enseigner les techniques académiques que je maîtrise bien. Je sentais une autre énergie, une force qui me disait : « Tu dois créer, tu dois suivre ta propre voie et prendre du plaisir à voyager dans ta propre personnalité d’artiste ». Ainsi, j’ai commencé à peindre. Ce n’était pas facile d’allier l’enseignement, la recherche et le sport. J’ai, en effet, été plusieurs fois champion du Sénégal de karaté kata, membre de l’équipe nationale et actuellement, je suis coach national, car j’ai continué mes études jusqu’en master 2 (obtenu à l’Institut des Arts et Cultures de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2014)), en même temps que l’enseignement et la création artistique.
Ce rythme de vie a marqué mon écriture artistique. Au début, ma peinture était belle, très académique avec des dégradés de couleurs. Mais je n’en étais pas satisfait.
Après mes activités de la journée (enseignement, sport, études), j’étais fatigué le soir arrivé à la maison. Mais j’avais envie de peindre. Bizarrement, au lieu de peindre, j’avais tendance à faire des signes avec le pinceau. Des écritures ont alors commencé à apparaître dans mes œuvres.
Ça a été un choc, car je me disais « Je ne peins plus, j’écris ».
Après un temps de réflexion, je me suis dit « Pourquoi ne pas laisser cette énergie s’affirmer ? »… Et c’est comme ça que les écritures, les signes et symboles sont apparus dans mon travail. Il fallait que je trouve le moyen de travailler, mais je n’en avais pas le temps. Alors j’avais eu l’idée de prendre des carnets de feuilles blanches et des feutres, donc je pouvais créer partout, même dans un taxi. J’avais un support et des outils simples. Au début, je faisais des lignes horizontales sur toutes les feuilles du carnet et je commençais à écrire ; à faire des signes spontanés et originaux qui se succédaient… Je me rappelle que les gens me demandaient souvent ce que je faisais, est-ce que ce que je faisais étaient des “khaatim” (des signes codés avec des chiffres et des lettres en arabe, censés avoir une force mystique), car dans leur mémoire visuelle, ce que je faisais était proche de ces signes.
Mais pour moi, c’était un travail artistique. J’étais fasciné par la force graphique des signes, leur rythme quand ils se succèdent, le mystère qu’on ressent quand on essaie de saisir leur essence car on ne peut les lire. Je ne cherche pas à écrire des signes lisibles, je m’interroge sur le sensible et non sur l’intelligible.
Le soir, arrivé chez moi, je découpais les feuilles pour ensuite les maroufler sur mes toiles. La première expérience m’a foudroyé ! Je venais de découvrir une facette de ma personnalité, quelque chose qui me choque, me parle, me secoue et m’emprisonne de sensations esthétiques.
C’est de là qu’est partie ma démarche sur les signes. Certes, j’ai réfléchi sur la dimension conceptuelle de ce travail. Puisque j’étais toujours fasciné par les signes en tout genre (arabes, hiéroglyphes…), j’ai alors ressenti le besoin de découvrir leur véritable ÂME…
Cependant à la même période, une autre sensation me poussa à stopper la couleur, à revenir sur du noir et blanc, sur la simplicité des traits. Je me lève un jour et avec un crayon, je cherchais à exploser. Je ne sais pas par quelle magie j’ai eu l’idée de travailler sur le corps humain. Il est vrai que les questions de l’existence humaine et de ses conditions sociales de vie m’ont toujours intéressées. Je dessine donc des bonshommes (la tête, le tronc et les quatre membres, la définition même du corps humain à l’école primaire). Ainsi, ces petits bonshommes étaient une écriture graphique, et voilà une nouvelle fenêtre de mon travail. Apparaissent des toiles blanches, sans couleur, juste des millions de bonshommes qui dansent, voltigent, se tiennent la main, se soutiennent parfois, mais reçoivent des coups… L’envie de saisir le rythme ultime de la vie humaine à la fois dynamique, éphémère et multiple…
Je pense que le concept qui résume ma vie et mon art est celui de RYTHME. Ma vie n’est que rythme et mes œuvres en témoignent par leur dimension esthétique.
Quelle est la chose que tu cherches à trouver ou prouver au travers de ton œuvre ?
B : À travers ma création, j’essaie d’ouvrir une nouvelle fenêtre de ma personnalité. Pour moi, créer c’est se découvrir. Je suis saisi de sensations quand JE VIS L’EFFET DE SURPRISE ! C’est ce moment où, au cours d’un travail ou à la fin, je déguste l’œuvre en me demandant si elle vient bien de moi.
Les concepts et les thématiques peuvent changer. Les outils et processus aussi : peinture, bronze, acrylique, fusion, marouflage, bois. Mais au fond, je cherche une sensation INEFFABLE. Je crois fortement que mes envies, rêves, situations, peurs, angoisses, joies, regrets, ne sont pas détachés de ma vie d’être humain appartenant à une époque et à une société. Quand je m’exprime, CE SONT TOUTES CES FORCES qui se mélangent comme un cocktail que je ne peux décrire exactement.
Par ailleurs, je suis un artiste qui n’aime pas rester sur place. Je bouge, je cherche, je brise, j’essaie, je souffre et je découvre de nouvelles sensations.
Être artiste au Sénégal, est-ce selon toi difficile ?
B : Être artiste est une chance ! Au Sénégal, personnellement, je n’ai pas de problème. Rien n’est difficile, à part l’envie de pondre des œufs dont on ne contrôle jamais leur ovulation.
Les populations commencent à mieux comprendre la création artistique visuelle. Mes proches me soutiennent et apprécient ma dévotion pour mon art. C’est essentiel et même vital pour moi.
Pour les espaces d’expositions et autres, Dakar est bien parti. Mais en tant qu’artiste, je suppose qu’il y a beaucoup à faire. Nous avons besoin de mécènes engagés, de formations et de sensibilisation populaires à travers l’enseignement de l’art, pour que les gens comprennent la valeur de notre pratique, qui est le témoin de notre temps.
Penses-tu que l’art est essentiel pour l’humanité?
B : Évidemment ! Car l’humain a toujours fait de l’art. L’art accompagne l’humain à travers l’Histoire. L’art est humain.
Les formes d’expressions sont l’action du sensible et des sens qui contrôle les réalités du visible et de l’invisible, de l’apparent et du caché, des larmes de douleur et des sourires de joie.
Le mot de la fin ?
B : Je ne peux pas définir l’art, mais il me permet de pleurer, de sourire, de regretter, de rêver, de sentir, de prendre des risques, de déguster… De vivre, de mourir et avoir envie de renaître et d’être éternel.
Babacar est l’artiste de la rigueur poétique, un nouveau romantique aux accents de géométrie précise. Son travail minutieux pousse à la réflexion apaisante d’un papier à musique. Entre décryptage et contemplation, cet artiste fait découvrir à la manière d’un Basquiat, l’importance du symbole.