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Une brève histoire du costume à travers le prisme du genre

Dans cet article seront abordées les assignations de genre dans le vêtement occidental et leur évolution de l’Antiquité au xviiiᵉ siècle selon le contexte politique, social ou culturel.

 

L’habillement est une composante essentielle de la construction de genre : il se fait l’écho de l’identité d’un homme ou d’une femme selon son âge et son statut social dans une société donnée [1]. Il est utilisé pour masquer le corps ou au contraire le dévoiler et accentuer certaines parties pour insister sur la féminité ou la masculinité [2].

Les transgressions aux assignations de genre dans le vêtement ont été nombreuses, parfois marginales si on pense par exemple à Jeanne d’Arc qui quitta sa tenue de jeune femme paysanne pour revêtir l’armure du noble chevalier. Elles étaient en général dénoncées par les discours littéraires, moralistes ou juridiques, qui critiquaient un excès de féminité pour les hommes, une séduction jugée dangereuse pour les femmes, un luxe immodéré et une atteinte à la pudeur ou à la morale pour les deux genres. Les reproches envers les femmes concernaient aussi l’atteinte de certaines modes à leur fonction de procréation.

Dans cet article, nous ne pouvons donner un aperçu exhaustif de ce sujet. Aussi, nous évoquerons seulement les quelques grandes lignes en Occident, de l’Antiquité au xviiᵉ siècle.

Dans les sociétés antiques méditerranéennes, les femmes et les hommes arboraient des tenues à la fois similaires et différenciées. Le vêtement, dans la plupart des civilisations, consistait en une simple étoffe qui devenait un habit à la manière de l’enrouler et de le draper sur le corps. À Rome, la façon de le porter, la gestuelle ou la démarche lui conférait alors une attribution féminine ou masculine qui était très codifiée selon le statut social ou l’âge [3]. La forme et la teinte du vêtement étaient aussi déterminantes dans les désignations de genre [4]. Les tenues de couleur et les étoffes fines étaient par exemple réservées aux femmes [5]. Cependant, dès l’Antiquité, nous retrouvons des transgressions aux normes établies. Dès la République, la longueur des manches des tuniques des hommes fut critiquée comme étant un signe de féminité et révélatrice d’une légèreté de mœurs par les érudits de l’époque [6]. La toge, revêtue uniquement par les citoyens romains, et non par leurs épouses, si elle était mal portée, renvoyait à un comportement considéré comme non-viril et contraire à la morale. Jules César, par exemple, fut abondamment critiqué par ses contemporains, car il ne portait pas sa toge de façon conventionnelle et avait donc adopté une démarche différente [7]. Il pouvait s’agir d’un geste délibérément politique pour se démarquer de l’aristocratie sénatoriale, que ses adversaires condamnaient comme un manque de virilité et donc de sérieux et d’autorité, qualités requises dans la participation à la vie politique de la cité [8]. Parfois, les transgressions de genre étaient acceptées si elles s’inscrivaient dans des codes cérémoniels précis. Dans certaines civilisations comme en Crète, le travestissement sexuel était une composante du rite de passage de l’âge de l’enfance à celui d’adulte [9]. Le vêtement neutre ou emprunté à l’autre genre pendant le rite était rejeté à la fin de l’initiation [10].

 

Fig. 1 : Fragment de l’autel de la paix, l’empereur et des membres de sa famille, 13-9 av. J.-C.
Paris, Grand Palais, exposition Moi, Auguste, Empereur de Rome.
Photo Carole Raddato, CC BY-SA 2.0 via Flickr.

 

Fig. 2 : Statue de l’impératrice Livia Drusilla, 14-19, Paestum.
Madrid, Musée archéologique
Photo manuel m. v., CC BY 2.0 via Flickr.

 

Au haut Moyen Âge, en Occident, les nouveaux souverains, convertis au christianisme, étaient issus des peuples germano-celtiques qui avaient envahi l’Empire romain. Les hommes et femmes arboraient une tenue d’aspect plutôt similaire, composée d’une tunique à manches, mais dont la longueur variait selon le genre. Celle des hommes était plus courte, accompagnée d’une cape, tandis que les femmes aux tuniques longues portaient un voile qui couvrait leur chevelure et leurs épaules [11].

Vers le xiᵉ siècle, avec l’apparition des modes nouvelles apportées de l’Orient comme les chaussures à pointe recourbées, les tenues des hommes furent critiquées pour leur luxe jugé excessif et efféminé par les moralistes de cette époque [12]. Les hommes et les femmes arboraient alors des vêtements longilignes aux coupes similaires et plutôt amples (fig.3) [13].

 

Fig. 3 : Aliénor d’Aquitaine et Henri II d’Angleterre, vitrail de la Crucifixion (détail), cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, XIIᵉ siècle. Photo CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

 

À partir de 1330 environ, leur tenue commença à se différencier très nettement : cette évolution s’explique par un courant humaniste nouveau, plus soucieux de l’individu, de la beauté idéale des corps et du paraître, aussi bien masculins que féminins [14]. Le vêtement long des hommes fut remplacé par le pourpoint, très court et ajusté, sorte de veste rembourrée qui augmentait le bombé du torse et qui laissait apparaître les jambes des hommes collées dans des chausses (fig.4). Celui des femmes s’ajustait de plus en plus au niveau du buste. Les décolletés apparurent et les robes s’allongèrent en traînes. Les coiffures devenaient de plus en plus élaborées, jusqu’à former des cornes. Ces nouvelles modes féminines et masculines, apparues dans les cours princières, furent vivement critiquées par les autorités laïques et religieuses de l’époque et comparées à des attributs du diable. La recherche vestimentaire des femmes fut aussi abondamment décriée dans la littérature profane, comme dans Le Roman de la Rose [15]. La silhouette féminine au xvᵉ siècle, ceinturée sous la poitrine, mettait en avant la partie de l’abdomen, insistant ainsi sur la fonction de procréation de la femme. Celle de l’homme se parait d’une carrure plus large.

Fig. 4 : Paris, musée du Louvre, tapisserie L’offrande du cœur (détail), 1400-1410.
Photo via Wikimedia Commons (Domaine public).

 

L’initiative des nouvelles modes féminines était attribuée aux femmes dès la fin du Moyen Âge, et notamment aux épouses étrangères des souverains qui représentaient l’altérité [16]. Leurs tenues semaient la confusion dans l’esprit des moralistes car elles mélangeaient les identités de genre et celles « nationalistes », voire ethniques [17]. Cependant les inventaires après décès témoignent du luxe plus foisonnant encore des tenues des hommes. L’excès de parure des dames était dénoncé comme un péché, lié à un concept de sexualité dangereuse s’opposant à la fertilité conjugale [18]. L’apparence des femmes et des hommes dans l’art était notamment conditionnée aux différentes théories sur le corps selon un lieu ou une période précise. Les érudits de la Renaissance italienne pensaient, par exemple, que le corps de l’homme était celui qui se rapprochait le plus de la perfection divine [19]. La femme était représentée et parée dans l’art du Quattrocento pour refléter la puissance et la richesse de sa famille, ou bien elle incarnait une allégorie de la beauté idéale et divine [20]. Dans la France du xviᵉ siècle, sa beauté était au contraire célébrée et considérée comme supérieure à celle de l’homme [21].

L’époque moderne suivit cette impulsion générale d’un costume fortement genré entre le costume court des hommes et celui long des femmes (fig.5 et 6). L’esthétisme l’emporta peu à peu sur le côté pratique et l’enrichissement des couches sociales élevées s’observa dans le luxe et la profusion du décor du costume. La mode des fraises et des manches volumineuses gagna aussi bien l’habillement masculin que féminin. Le vertugadin, composé de cerceaux rigides qui encerclaient sans le toucher le corps de la femme pour le redessiner, apparut d’abord en Espagne au xvᵉ siècle puis se diffusa ensuite dans toute l’Europe avec la politique matrimoniale intense de ce royaume [22]. Il fut rapidement critiqué à cause de ce qu’il pouvait dissimuler dans ses larges cerceaux, une grossesse par exemple, ou parce qu’il pouvait entraver le développement du fœtus [23]. Le pourpoint des hommes était rembourré pour exagérer la musculature, de même que la braguette, pour renforcer ses attributs virils. La barbe devint à la mode au xviᵉ siècle, accentuant ainsi les différenciations de genre.

Fig. 6 : Londres, Royal Museums Greenwich, portrait de l’Armada, Élisabeth I, environ 1588, Photo via Wikimedia Commons (Domaine public).

 

Fig. 5 : Liverpool, Walker Art Gallery, portrait d’Henri VIII d’après Hans Holbein le Jeune, après 1537. Photo via Wikimedia Commons (Domaine public).

 

Au xviiᵉ siècle, hommes et femmes portaient toujours des vêtements bien distincts. Dans le royaume de France, l’art baroque se retrouvait dans le costume : recherche de l’abondance de détails, de singularités et de l’extravagance mais les coupes étaient plus simples et moins volumineuses qu’au xviᵉ siècle (fig.7) [24]. La figure du courtisan ou de la courtisane et notamment le favori ou la favorite du roi, était celui ou celle qui lançait les modes. Les tenues des femmes étaient plus sobres que celles des hommes, composées de superpositions allant jusqu’à trois épaisseurs de jupes. Leur corps était de plus en plus contraint par des accumulations de couches vestimentaires, des baleines, ou rembourrages qui dessinaient un buste étroit avec un profond décolleté en ovale et au contraire des hanches larges.

 

Fig. 7 : Paris, BnF, Rencontre de Louis XIV et Marie-Anne de Bavière, 1680, Photo via Wikimedia Commons (Domaine public).

 

Au xviiiᵉ siècle, les vêtements suivaient encore une distinction de genre mais un changement de mœurs s’observe : la femme accéda à une place plus proéminente dans la société, et sous son impulsion, les modes féminines changèrent [25]. Les robes s’assouplirent et dessous, les paniers exagéraient le volume des hanches pour rendre la taille encore plus fine (fig.8). À la fin du xviiiᵉ siècle, les corps des femmes s’affranchirent de ces dessous contraignants. Des robes plus légères, plus simples, souvent blanches, apparurent en réaction au corps baleiné sous l’influence des théories de Jean-Jacques Rousseau sur la sensibilité, l’éducation, la maternité et le retour à la nature (fig.9) [26]. La forme du costume masculin se simplifia et s’ajusta plus près du corps au fur et à mesure du siècle des Lumières.

Fig. 8 : Los Angeles, County Museum of Art, chemise, corset, et paniers, XVIIIᵉ siècle, Photo PKM, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

 

Fig. 9 : Allemagne, Collection du prince de Hesse et du Rhin, Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Marie-Antoinette dans une robe de mousseline, 1783, Photo via Wikimedia Commons (Domaine public).

 

Dans les sociétés occidentales, le vêtement a donc évolué depuis l’Antiquité jusqu’à la période moderne vers une construction de plus en plus marquée de la différence de genre. Les nouveautés dans le costume masculin ou féminin, qui s’écartaient ainsi de la norme sociale, ont attiré de vives critiques à travers les siècles. Il faut attendre la période contemporaine pour que les femmes et les hommes s’affranchissent peu à peu des stéréotypes de genre dans le vêtement.

 

[1] Sophie Cassagnes-Brouquet et Christine Dousset-Seiden, « Genre, normes et langages du costume », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 36 (31 décembre 2012) : p. 10‑11, https://doi.org/10.4000/clio.10714.

[2] Cassagnes-Brouquet et Dousset-Seiden, p.11.

[3] Catherine Baroin, « Genre et codes vestimentaires à Rome », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 36 (31 décembre 2012) : p. 43‑66, https://doi.org/10.4000/clio.10734.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Yvette Morizot, « Les grecs, leurs vêtements, leur image », dans Costume et société dans l’Antiquité et le haut Moyen Age, Textes, images et monuments de l’Antiquité au Haut Moyen Âge (Paris : Picard, 2003), p. 46.

[10] Ibid.

[11] Françoise Piponnier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen âge (Paris : Adam Biro, 1995), p. 52.

[12] François Boucher, Histoire du costume en Occident : des origines à nos jours, éd. par Yvonne Deslandes (Paris: Flammarion, 2008), p. 134‑35.

[13] Denis Bruna et Chloé Demey, Histoire des modes et du vêtement : du Moyen âge au xxisiècle (Paris : Textuel, 2018), p. 38.

[14] François Boucher, p. 154.

[15] Diane Owen Hughes, « Les Modes », dans Histoire des femmes en Occident, éd. par Christiane Klapisch-Zuber, Georges Duby, et Michelle Perrot (Paris: Perrin, 2002), p. 182‑83.

[16] Hughes, p. 183.

[17] Ibid.

[18] Hughes, p. 189‑90.

[19] Sébastien Jahan, Les Renaissances du corps en Occident: 1450-1650 (Paris: Belin, 2004), p. 85‑86.

[20] Jahan, p. 83‑85.

[21] Ibid.

[22] Hughes, « Les Modes », p. 196‑97.

[23] Ibid.

[24] Boucher, p. 215.

[25] Boucher, p. 262‑63.

[26] Boucher, p. 275.

 

Bibliographie :
  • Baroin, Catherine. « Genre et codes vestimentaires à Rome ». Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 36 (31 décembre 2012) : p. 43‑66. https://doi.org/10.4000/clio.10734.
  • Boucher, François. Histoire du costume en Occident : des origines à nos jours. Édité par Yvonne Deslandes. Paris : Flammarion, 2008.
  • Bruna, Denis, et Demey, Chloé. Histoire des modes et du vêtement : du Moyen âge au xxie siècle. Paris : Textuel, 2018.
  • Cassagnes-Brouquet, Sophie, et Dousset-Seiden, Christine. « Genre, normes et langages du costume ». Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 36 (31 décembre 2012) : p. 7‑18. https://doi.org/10.4000/clio.10714.
  • Hughes, Diane Owen. « Les Modes ». Dans Histoire des femmes en Occident, édité par Christiane Klapisch-Zuber, Georges Duby, et Michelle Perrot, p. 181‑208. Paris : Perrin, 2002.
  • Jahan, Sébastien. Les renaissances du corps en Occident : 1450-1650. Paris : Belin, 2004.
  • Morizot, Yvette. « Les grecs, leurs vêtements, leur image ». Dans Costume et société dans l’Antiquité et le haut Moyen Age, p. 37‑48. Textes, images et monuments de l’Antiquité au Haut Moyen Âge. Paris : Picard, 2003. https://doi.org/10.3917/pica.chau.2003.01.0037.
  • Piponnier, Françoise, et Mane, Perrine. Se vêtir au Moyen âge. Paris: Adam Biro, 1995.

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