
Photo de couverture : Zhou Fang (730-810, Dynastie Tang), Beautés portant des fleurs, Public Domain via Wikimedia Commons
La soie, dont le procédé fut inventé dès l’Antiquité, possède une histoire très riche qui commença en Chine, et parvint jusqu’en Occident par les fameuses « routes de la soie » selon l’expression de Ferdinand de Richthofen (1833-1905).
La soie est une fibre naturelle, brillante, douce, et souple qui provient du ver d’une espèce de papillon de nuit aveugle et aptère appelée Bombyx du mûrier (fig.1). Ses propriétés sont multiples : elle est adaptée aussi bien pour les chaleurs d’été que les froids de l’hiver.
Elle fut employée en Chine comme monnaie d’échange, pour le versement d’un salaire, ou d’un tribut, et se transmettait tel un bien héréditaire dans les testaments. Support dans les manuscrits et objet d’art, elle fut aussi destinée à servir de médium ou à orner les biens de la vie courante dans l’ameublement et l’habillement, mais également dans le domaine cultuel et funéraire.

Photo p.gibellini, CC BY 2.0 via Flickr
L’origine de la soie en Chine
Les plus anciennes traces de tissage de la soie ont été découvertes en Chine et remontent à 3000 avant J.-C. (SCOTT Philippa, ndlr). La soie provenait alors d’une espèce sauvage du Bombyx du mûrier qui produisait un fil plus lisse, plus fin, plus résistant et plus rond que les autres papillons de nuit qui permettait d’être enroulé de manière continue (SCOTT Philippa, ndlr). Au fil d’une centaine d’années d’élevage intensif, le papillon sauvage évolua en une espèce domestique, incapable de voler, et destiné à la sériculture, c’est-à-dire à l’élevage des vers à soie (SCOTT Philippa, ndlr).
La soie était devenue en Chine un facteur de poids dans l’économie. Il existait même une divinité de la Soie, ce qui prouve l’importance de cette culture dans cet empire (SCOTT Philippa, ndlr). Les motifs peints s’inspiraient alors de la calligraphie et de la peinture chinoise. Les couleurs et les décors des tissus portaient une symbolique très forte, marquant une hiérarchie qui ne pouvait être transgressée (SCOTT Philippa, ndlr). Par exemple, pour se distinguer, les dynasties impériales choisissaient chacune des couleurs incarnant un des cinq éléments de la nature et un bestiaire symbolique (SCOTT Philippa, ndlr).
La Chine antique et l’ouverture des routes de la soie
Entre 1766 et 1401 av. J.-C., sous le règne des Shang, le commerce chinois dont celui de la soie s’ouvrit à l’Ouest sur l’Asie centrale et la Sibérie (SCOTT Philippa, ndlr). Les routes étant longues et éprouvantes, c’étaient surtout les marchandises les plus rares et les plus précieuses qui étaient transportées (FRANKOPAN Peter, ndlr). Les tribus nomades s’échangeaient les biens de luxe comme la soie contre du bétail et des montures (FRANKOPAN Peter, ndlr). Au IIᵉ siècle av. J.-C., sous la dynastie des Han et leur politique d’expansion, les frontières de la Chine s’étendirent au monde des steppes (FRANKOPAN Peter, ndlr). Pour maintenir la paix dans ces provinces reculées, l’Empire versait des tributs aux chefs nomades sous forme de marchandises précieuses comme la soie, particulièrement prisée pour ses propriétés isothermiques et sa fonction de marqueur social (FRANKOPAN Peter, ndlr). Cependant, cette politique de versement de tributs ne dura pas. En une décennie, les Han s’emparèrent petit à petit de ce territoire, ouvrant ainsi selon Peter Frankopan « un nouveau réseau transcontinental », évènement fondateur des routes de la soie (FRANKOPAN Peter, ndlr).

Les croisements culturels entre la Chine et les territoires occidentaux
Cette ouverture au commerce occidental eut pour conséquence non seulement de faire connaître les soieries chinoises jusqu’en Méditerranée, mais aussi de faire circuler en Chine les biens et les idées venues de l’Ouest, comme le bouddhisme, originaire de l’Inde, qui devint l’une des religions principales dans l’Empire (VAINKER Shelagh J., ndlr).
Des ambassades de l’empereur Wu de la dynastie Han voyagèrent avec des présents diplomatiques, dont des soieries jusqu’en Perse et en Mésopotamie (SCOTT Philippa, ndlr). La culture de la soie fut aussi implantée à la même période en Corée par des émigrants chinois et des témoignages certifient la présence de soieries au Japon dès le Ier siècle avant J.-C. (SCOTT Philippa, ndlr). Cet éparpillement de la connaissance chinoise en matière de sériculture fit l’objet de nombreuses légendes décrivant des princesses impériales qui rejoignaient leurs fiancés étrangers avec des œufs de vers à soie cachés dans leur coiffure élaborée (SCOTT Philippa, ndlr).
Dans les sources chinoises, sont documentées également des tentatives de visites diplomatiques ou commerciales entre Rome et l’Empire chinois entre le Ier et le IIᵉ siècle ap. J.-C. (SCHNEIDER Pierre, ndlr).
À partir du IIIᵉ siècle après J.-C., pour la première fois en Chine, des fils d’or provenant de l’Ouest furent tissés avec des fibres de soie (SCOTT Philippa, ndlr). Dans les siècles suivants, les techniques de tissage se développèrent, permettant notamment d’élaborer des tissus avec une plus grande largeur et des motifs plus complexes (SCOTT Philippa, ndlr).
Des influences plus occidentales (l’adjectif occidental est utilisé ici du point de vue de la Chine, dans le sens où il s’agit de territoires situés plus à l’Ouest que l’empire chinois, mais considérés comme orientaux du point de vue des royaumes chrétiens d’Occident) commencèrent à s’observer dans les motifs chinois, particulièrement ceux réalisés sous la dynastie des Tang (618-906) (SCOTT Philippa, ndlr). Également à la même période, apparurent des images et symboles bouddhistes provenant de l’Inde dans les soieries chinoises (SCOTT Philippa, ndlr).
La fin du monopole chinois et l’intensification des échanges avec les territoires orientaux
Des témoignages confirment la présence de soieries étrangères (japonaises, tibétaines, coréennes, etc.) comme tributs à la cour impériale des Tang (SCOTT Philippa, ndlr). Des marchands étrangers, notamment arabes, étaient implantés dans le port commercial de Canton (Guangzhou), plateforme entre la Chine et les territoires occidentaux (SCOTT Philippa, ndlr).
À partir du milieu du VIᵉ siècle, des élevages de bombyx étaient présents aussi à Byzance (MARTINIANI-REBER Marielle, ndlr). Auparavant, cet empire était dépendant des productions de soieries chinoises et des routes commerciales implantées par les Sassanides pour son ravitaillement en soie (MARTINIANI-REBER Marielle, ndlr). La Chine avait conservé le secret de sa fabrication, mais Byzance avait réussi à subtiliser des œufs de bombyx par l’intermédiaire de deux moines (MARTINIANI-REBER Marielle, ndlr). Au VIIᵉ siècle, à la suite de la conquête musulmane de certaines provinces byzantines productrices de soie, les Arabes étendirent sa fabrication à tout le bassin méditerranéen (JACOBY David, ndlr). En 751, La Chine subit une importante défaite à la bataille de Talas (dans l’actuel Kazakhstan) par l’Empire islamique : de nombreux artisans détenant entre autres la technique de la fabrication de la soie furent faits prisonniers et envoyés notamment à Bagdad où ils enseignèrent leur savoir-faire (SCOTT Philippa, ndlr).
Sous la dynastie des Song, à partir de 960, les techniques d’impression des motifs furent améliorées, avec par exemple l’ajout de peintures à l’or (SCOTT Philippa, ndlr). Le commerce maritime, notamment dans l’Océan Indien, se développa particulièrement sous cette dynastie, intensifiant ainsi les contacts extérieurs de la Chine.

Après l’invasion des Mongols qui établirent une nouvelle dynastie, celle des Yuan (1260-1368), les relations s’intensifièrent encore avec les territoires plus occidentaux (SCOTT Philippa, ndlr). Le pape, face à la menace islamique à la frontière de ses territoires, chercha en effet le soutien des Mongols (SCOTT Philippa, ndlr). Des marchands italiens tentèrent des expéditions dans l’Empire, comme le Vénitien Marco Polo (1254-1324), qui relata son voyage dans son livre Devisement du Monde (SCOTT Philippa, ndlr). Les exportations de soieries s’accrurent vers les territoires de l’Islam comme l’Egypte, la Syrie ou l’Espagne et vers les royaumes et villes d’Occident (SCOTT Philippa, ndlr).
Les soieries chinoises continuèrent d’exercer une forte attraction à la période moderne, et notamment au XVIᵉ siècle, à la suite de la découverte du Nouveau Monde et de ses richesses, dont le minerai d’argent, que la Chine échangeait contre des soieries, de la porcelaine et des épices (VAINKER Shelagh J., ndlr). C’est alors que l’Empire entra véritablement dans l’économie mondiale et produisit des soieries aux influences occidentales en utilisant la technique du velours (VAINKER Shelagh J., ndlr). Au XVIIᵉ siècle, durant la dernière dynastie mandchoue des Qing (1644-1911), les Européens prirent goût au style oriental et aux chinoiseries (SCOTT Philippa, ndlr). Les soieries et œuvres d’art chinoises attiraient toujours autant les Occidentaux à la période contemporaine, comme le prouva le pillage de la cité impériale de Pékin durant la Révolution de 1911 (SCOTT Philippa, ndlr).
Bibliographie :
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Frankopan, Peter. Les routes de la soie : l’histoire du cœur du monde. Traduit par Guillaume Villeneuve. Paris : Flammarion, 2019.
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Jacoby, David. « Silk Production ». Dans The Oxford Handbook of Byzantine Studies, édité par Robin Cormack, John F. Haldon, et Elizabeth Jeffreys. Oxford: Oxford University Press, 2008.
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Martiniani-Reber, Marielle. « Textiles Byzantins ». Dans Byzance : L’art Byzantin Dans Les Collections Publiques Françaises, édité par Daniel Alcouffe, Mathilde Avisseau-Broustet, et François Baratte. Paris : Réunion des musées nationaux, 1992.
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Schneider, Pierre. « Les Routes de la soie dans l’Antiquité : une brève histoire des connexions Orient-Occident (4e siècle avant notre ère-6e siècle de notre ère) ». Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 151 (1 décembre 2021) : p.35‑46.
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Scott, Philippa. The Book of silk. Londres: Thames and Hudson Ltd, 1993.
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Vainker, Shelagh J. Chinese silk: a cultural history. Londres: British Museum, 2004.