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The Chef. À voir, ou ne pas être ?

Notre équipe a vu The Chef (titre original : Boiling Point), dernier film en date de Philip Barantini. En quelques points, Baptiste propose une critique analysant les motivations et ressources employées par le réalisateur et son scénariste, concluant à une expérience en demi-teinte dans le potentiel que recelait le projet.

Le film de Philip Barantini met les pieds dans le plat, casse les codes (et la vaisselle), pour n’emporter qu’avec lui le pourrissement des écarts en cuisine. L’œuvre ne manque pas de sel ; à défaut du goût ?

On connaît tous cette scène, chez soi, à surveiller ce feu. Celui de la casserole, un soir de pâtes. Un volume d’eau et ses bouillonnements timides, qui missionne notre œil à rester proche des plaques afin d’éviter que la vapeur ne brûle, ou que les bulles n’éclatent.

Cette attention qui est la nôtre à ce moment précis, c’est celle d’un regard qui compte les secondes et les minutes, écrasant le temps jusqu’à le rendre large et visible. Ce n’est alors plus nous qui suivons le temps ; c’est lui qui, de tout son poids, se retourne et nous regarde.

Et c’est bien cet effet que retranscrit la technique du plan séquence adoptée par le réalisateur Philip Barantini dans son ouvrage The Chef. Le plan séquence vous surveille, vous traque ; il vous « tient ». Il s’accroche alors à vous pour vous tirer vers lui, tantôt par la manche, tantôt par le col.

Et voilà que, la gueule dans les visages, la tronche dans les humeurs d’une équipe au bord du burn-out un soir de « Magic Friday » à Londres, nos yeux plongent dans le méandreux tunnel d’un service gastronomique qui claque son air dans un effluve de souffre.

Pour que la température monte, tous les coups scénaristiques sont bons. Des allusions racistes aux provocations salariales, en passant par les spectres mutilants de l’adulescence, au détour de l’adultère ; le menu est piquant.

En attaquant ainsi, The Chef s’engage en nous comme pour démontrer que toute la vie, dans ses oublis, ses provocations, ses attentes, ses promesses, ses mensonges… pouvait se concentrer autour de quelques dizaines de tables, six tequilas et un sourire de service.

La mise en abîme existentielle fonctionne tant les acteurs ont travaillé, tant ils connaissent leur parcours dans cette presque pièce de théâtre chorégraphiée au rythme ciselé, mais interprétée à cœur ouvert – autrement le drame ne prend pas.

L’impression varie alors, entre la sensation de voir les personnages bariolés par un environnement qui pique la chair, qui chauffe trop, qui se casse par terre ; et ce délire d’immersion qui transforme les personnages eux-mêmes en décor pour notre exploration mi-active mi-passive, à la croisée des chemins entre le rêve lucide et l’expérience de mort imminente.

Et c’est probablement ce coup de pied dans le tréfonds de l’âme qui, au gré de la cuisson progressive du film, s’impose. Philip Barantini ne s’intéresse qu’à saisir un processus de finition violente d’une vie noyée dans son alcool, tiraillée de douleur et d’impuissance. Cette soirée dînatoire s’annonçait gérable, mais un dramaturge est passé par là.

L’entrée en matière elle-même, est finalement déjà bien sombre. Le reste du film ne le sera que plus, en dégommant tous les recoins de son sujet. Et le trop plein de noirceur qui pourrait friser l’overdose, jusqu’à vouloir la fuir au troisième acte pour un sursaut du goût de vivre… rend les armes dans son jus de crudité. Par un mouvement haleté de steady cam, le temps d’un dernier récit d’intimité d’Andy, un chef martyr tire sa révérence.

La pression est visiblement trop grande selon Philip Barantini, pour concéder un dernier quart d’heure optimiste aux efforts surhumains que l’équipe du restaurant fournit encore en ce soir froid de décembre. Face à la violence du métier, dans la totalité de ses ardeurs, pas de place pour une fin alternative ; même pas la convenance d’un job qui pourrait insuffler quelconque sentiment salutaire.

Dans son ensemble, l’immersion du film est trop efficace et réussie pour se résigner à n’y voir qu’une métaphore de la hargne des vies humaines. The Chef, dans sa maîtrise, devrait alors s’accorder de ne vouloir parler que de cuisine. Mais dans ce cas, permettons alors la possibilité de filmer une conclusion qui ferait parler le cœur de notre protagoniste autrement qu’en l’arrêtant brusquement, sous l’effet d’un cocktail mortel. L’inspiration n’aurait pas été trop grande de préférer célébrer la chance que recèle l’expérience du goût face au crachin de nos quotidiens déjà bien farcis.

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