Le film Titane de Julia Ducournau a obtenu la palme d’or à Cannes cette année. Beaucoup ont critiqué ce prix en parlant ironiquement de « palme gore » tant le film présente un univers sanglant dans lequel l’héroïne est une meurtrière violente à la Basic Instinct ou à la Kill Bill. Titane fait le portrait d’un monstre. Quelles sont les vertus du monstre dans l’art ?
« Merci d’avoir laissé entrer les monstres ». La cérémonie du 74e Festival de Cannes a consacré cette année Julia Ducournau pour son film Titane. C’est donc le genre du thriller horrifique qui est porté sur le devant de la scène cannoise puisque Titane fait le récit d’Alexia, une jeune femme à l’allure inhumaine, devenue « serial killeuse » après qu’on lui a implanté une cellule en titane au-dessus de l’oreille. Derrière l’effroi et le dégoût que provoque ce film, Titane propose une réflexion sur ce qu’est la monstruosité et sur ce qu’elle dit de l’homme.
Le monstre pour faire peur
Depuis l’Antiquité, le monstre est une figure narrative très utilisée qu’on retrouve dans les récits et dans l’art. La figure du monstre effraie autant qu’elle fascine en faisant naître de vives émotions chez le spectateur. « La monstruosité qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c’est une arme » dit Julia Ducournau. Un monstre est en effet une créature qu’on remarque et qu’on évite. Le mot « monstre » vient du latin monstrare qui signifie montrer. Un monstre est celui qu’on montre du doigt, qu’on regarde de loin sans oser l’approcher. Il fait peur et inspire la pitié. Par sa démesure ou sa difformité, il nous angoisse. Par sa solitude ou sa marginalité, il nous inquiète. Voir un monstre permet de se confronter à ses propres craintes et de nous faire réfléchir sur les raisons de ses craintes.
Le monstre est une force à « repousser les murs de la normativité »
Mais Titane va plus loin que simplement chercher à effrayer le spectateur. La figure du monstre dans ce film permet de « repousser les murs de la normativité » selon la réalisatrice. Parce qu’il est différent, le monstre est souvent perçu comme bizarre ; c’est-à-dire que sa différence dérange, déplaît, car elle s’écarte des normes et des habitudes. Ainsi, quand Julia Ducournau remercie d’avoir laissé entrer les monstres, elle remercie d’avoir laissé entrer un peu de différence dans l’art. D’après Baudelaire, « le beau est toujours bizarre ». En ce sens, le bizarre n’est jamais banal et c’est en ça qu’il est beau. En laissant une place aux monstres dans l’art, on laisse une place au bizarre, au non banal et donc au beau. « Il y a tant de beauté, d’émotion et de liberté à trouver dans ce qu’on ne peut pas mettre dans une case » continue par dire Julia Ducournau : la réalisatrice semble vouloir nous dire que l’anomalie fait partie de la normalité, et qu’il faut avoir le courage de regarder les monstres plutôt que de les éviter.
Avec Titane, le cinéma français se prend donc de compassion pour la figure du monstre. Et tant mieux. Derrière un univers sanguinaire, gore et plein de folie malsaine, Titane promeut une forme d’inclusivité : remercier d’avoir laissé entrer les monstres, c’est remercier d’avoir laissé entrer le beau qui naît de la différence. On aime ou l’on n’aime pas cette conception de l’art. Peu importe. L’important est qu’une œuvre d’art ne laisse pas indifférente. Et Titane ne laisse pas de marbre.
Sources :
- « Titane », une Palme d’or critique du transhumanisme, Anthony Chanthanakon, Philosophie magazine [en ligne] publié le 27 juillet 2021
- « Titane », Palme d’or de l’esbroufe et de la confusion, Olivier De Bruyn, Marianne [en ligne], publié le 19/07/2021
- Le monstrueux, Pierre Péju, Gallimard Jeunesse, 2007
- Curiosités esthétiques, Charles Baudelaire, posthume, 1868