Si Brasília est la capitale du Brésil, São Paulo prend la place du véritable centre économique et culturel du pays. Il a été fondé en 1554, mais ce n’est qu’avec la production du café à partir du XIXème siècle et l’arrivée des diasporas italienne, japonaise et portugaise, que s’est initié sa plus fulgurante croissance.
Quand on a proposé à mon mari d’aller travailler à São Paulo, ma première pensée a été : « Ah… Dommage que ce n’est pas Buenos Aires ». Mais quelle ingrate ! Au lieu d’être heureuse pour l’opportunité, mademoiselle Difficile voulait choisir sa destination.
Il y a, toutefois, quelques circonstances atténuantes à cette ingratitude momentanée. Un, on parlait déjà espagnol, tandis qu’en portugais, on était à peine capable de commander une bière. Deux, 8 ans auparavant, nous avons connu les deux villes et on savait donc que Buenos Aires était beau, tandis que São Paulo était vilain. Trois, ma deuxième pensée a été : « Brésil ? Yes ! ».
Ma définition de São Paulo est celle-ci : un océan d’édifices.
Toutefois, ne vous imaginez pas New York… La mégalopole brésilienne possède un certain nombre de bâtiments de qualité, et même des œuvres iconiques telle que le Copan, le MASP ou l’ancien siège de Banespa, mais dans l’ensemble, il lui manque beaucoup pour postuler au titre de musée d’architecture contemporaine.
À São Paulo, ce que je trouve le plus surprenant en matière de la construction, est cette disposition nonchalante à faire tout et n’importe quoi. Brésil est un pays extrêmement bureaucratique et il a une loi strictement à tout. Pourtant, il semble que pour le bâtiment, aucun gabarit ni règle soient appliqués. Un quelconque cube de béton avec un certain nombre de trous passe sans aucun problème pour l’immeuble parfaitement acceptable.
Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, même dans un dédale d’édifices disgracieux, on peut trouver une certaine beauté absurde. D’abord, on ne voit que des blocs, de la grisaille, une machine urbaine, un parasite envahissant… Et après on commence à percevoir quelque chose de plus.
Il est vrai que le décor comme tiré du Cinquième Élément est plus intéressant à regarder sur les écrins de cinéma qu’à vivre. Il est vrai que la plupart d’entre nous préfèrent contempler un champ de lavande provençale qu’un faisceau d’édifices tristes et mal projetés. Il est vrai que les âmes sensibles à la protection du patrimoine ne peuvent que se sentir révoltées devant la destruction quotidienne des édifices historiques… Néanmoins, malgré son apparente brutalité, São Paulo sait être un cadre de vie époustouflant, accueillant et joyeux.
En termes de population, São Paulo bat de nombreux records : c’est la ville la plus peuplée du Brésil, de l’Amérique, de l’hémisphère occidental ainsi que du septentrional.
Mais tout ce monde, on ne le vit pas au quotidien, car même dans une telle mégalopole, nous nous créons notre vie de voisinage. Je fais mes courses au marché de rue local le samedi et je connais presque tout le monde, certains même par leur nom : on fait partie d’une des innombrables petites villes qui constituent la grande.
On trouve ici des quartiers italiens, allemands, japonais, arabes, portugais, coréens, estoniens, et même tchèques, mais je vais vous dire une chose : ils sont tous bel et bien brésiliens. Le portugais aux accents locaux prédomine largement et le rythme de samba, accompagné de rire et de délicieuse odeur de la grillade, est omniprésent.
São Paulo est le théâtre à la fois des plus grandes richesses et des plus profondes misères. C’est une de ces villes prédatrices où la vie digne s’achète à un prix très élevé. Avec un salaire minimal, il est presque impossible de se procurer un logement à l’intérieur de la ville, et vivre dans des quartiers périphériques signifie passer 2 à 3 heures dans les transports, matin et soir… 2 à 3 heures, si tout va bien ! Car le trafic est capricieux.
Je sais que l’égalité absolue est une utopie, quand même… À São Paulo, il n’est pas nécessaire d’aller manger les étoiles Michelin pour dépenser en un seul repas ce qu’un autre gagne en un mois. Ici, nous touchons aux extrêmes des extrémités.
Si les inégalités de revenus sont vertigineuses, São Paulo compense quelque peu par sa tolérance envers la diversité sexuelle : la ville accueille une large population non-hétérosexuelle et annuellement devient la scène de la plus extravagante gay pride du monde. Dans une Amérique Latine pas toujours aussi libérale, São Paulo est donc un foyer d’une extrême importance.
Quand on parle d’un endroit aussi urbain, on s’imagine difficilement que la nature y a sa place. Or, un peu partout, les rues sont bordées de gigantesques arbres centenaires qui font encore leur loi : trottoir ou pas trottoir, les racines continuent leur vigoureux chemin à travers les pavés et le béton, comme s’ils n’avaient pas remarqué qu’une ville s’est construite autour d’eux. Le matin, on se réveille aux cris des perruches, parfois, on aperçoit un colibri, et tout ce que l’on plante, pousse même sans la main verte.
Le terrain sur lequel la ville s’est installée est extrêmement accidenté. San Francisco est une rigolade à côté des montagnes russes locales : il suffit de partir pour une promenade de trois heures chaque week–end end pour faire mon fitness de la semaine. Ma marche préférée est à travers ce que j’appelle Les Trois Vallées : chaque vallée correspond à une grande avenue, Pompéia, Sumaré et Pacaembu.
São Paulo possède un climat assez divertissant. La ville se situe à peu près à la même latitude que Rio de Janeiro, mais pas à la même altitude. À une heure et demie de la mer et à 800 mètres au-dessus de son niveau, c’est un mélange du tropical avec les caractéristiques d’un plateau de montagne. Il est recommandé de sortir de chez soi en apportant un pull, un éventail et des lunettes de soleil, un parapluie, et, si possible, un bateau gonflable : en une journée, vous pouvez faire expérience de tout type de temps, depuis 15 °C en plein été ou 30 °C en plein hiver, jusqu’aux pluies torrentielles qui emportent tout ce qui n’est pas attaché.
Tout récemment, cela a fait six ans que j’avais l’opportunité de méditer au quotidien sur cet espace singulier, construit comme vide, nouveau comme vieux, beau comme laid, et je me dis que c’est aussi grâce aux endroits comme São Paulo que notre planète est si diverse et fascinante.
São Paulo est comme un bébé qui a trop mangé et trop grossi, et qui crie trop fort. Mais j’aime ce bébé. Son caractère cosmopolite et vibrant, ce clash de l’urbanité avec de la nature, le climat qui pour moi est si exotique. J’aime aussi la joie et la gentillesse de ses habitants, ainsi que leur esprit artistique avant-garde.
Mes endroits préférés
- Minhocão : autoroute surélevée qui se transforme tous les dimanches en promenade et la piste des vélos. Elle est entourée d’édifices qui servent de gargantuesques toiles artistiques.
- La Casa de vidro : la Maison de Verre. Ancienne résidence privée de Lina Bo Bardi, l’architecte brésilienne née en Italie.
- MASP : Musée d’Art de São Paulo. La plus grande collection d’art occidental au Sud de l’équateur. Nous devons l’édifice et la disposition muséographie inouïe à Lina Bo Bardi.
- SESC Pompéia : oui, je suis fan de Lina Bo Bardi… Ceci est encore une de ses créations ; une fabrique désaffectée et admirablement reconstruite, elle abrite aujourd’hui un centre socio-culturel.
- Les quartiers historiques : Centro, Bixiga, Sé, Liberdade, República, etc. Même si pour la plupart délabrés (comme d’ailleurs la majorité des centres historiques brésiliens), le charme du passé se lit encore sur les façades des maisons survivantes. Par contre le soir, il faut faire attention à soi et à ses affaires !
Les restaurants
- A Baianeira : cuisine brésilienne, fusion des influences régionales de Bahia et Minas Gerais.
- Izakayá Kaburá : restaurant familial traditionnel, où on parle toujours le japonais.
- Rong He : lieu peu charmant mais extrêmement authentique ; les nouilles chinoises sont faites directement devant vous.
- Tanit : restaurant huppé et délicieux d’inspiration espagnole.
- Z Deli : le meilleur sandwich de pastrami de São Paulo ? Du Brésil ? Du monde ?
- La Casserole : gastronomie française dans un décor qui vous transporte dans le temps.
- IT Sushi : à São Paulo les restaurants japonais de sushi sont très nombreux, mais peu ont la délicatesse de IT.
- Coffee Lab : un des jolis cafés hipster de la ville, où on peut déguster, travailler ou apprendre à faire le café.
- Pé pra fora : restaurant brésilien plutôt ordinaire, mais d’excellent qualité. Le feijão (haricots) de José est imbattable.
Les bars et sorties nocturnes
- Casa da Luz : centre culturel et boîte de nuit, dans un manoir historique décrépi mais magnifique ; attention ! Il se situe dans un quartier dangereux.
- Casa de Francisca : « Le coin musical de São Paulo » ; spectacles de musique brésilienne avec restaurant, dans un édifice historique restauré.
- Cervejaria Perdizes : Une des innombrables brasseries artisanales de la ville ; vous pouvez faire le tour des lieux de la production.
- Tequila’s Karaokê : Si vous rêvez de passer une soirée folle à mal chanter dans un décor kitch à la luminosité bleuâtre, venez ici ! C’est génial.