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« Sainté », le vilain ou vaillant petit canard de la vallée du Giers

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Forte de son héritage ouvrier, Saint-Étienne sait entretenir sa ferveur populaire et son militantisme. Des chaudrons aux crassiers, la ville des « Verts ».

 

Il y a quelque temps, un autre article de R Magazine sur São Paulo, au Brésil, m’a un peu fait penser à Saint-Étienne, ville où j’habite actuellement. Ce rapprochement ne concerne pas tant les deux villes qui sont, de toute évidence, radicalement différentes, mais plutôt cette espèce d’aura négative qui les accompagne dans leur pays respectif.

Saint-Étienne, ou « Sainté », située à 60 kilomètres au sud de Lyon, sa rivale historique, ne fait effectivement pas très bonne impression sur le reste du territoire métropolitain. Beaucoup se figurent encore une ville aux murs noirs de suie, sale, polluée, à l’image des mines de charbon et des usines de métallurgie grâce auxquelles elle s’est développée. Cette vision stéréotypée ne vient pas de nulle part : Saint-Étienne est, de fait, une ancienne ville minière marquée par l’histoire de l’apogée comme du déclin de l’ère industrielle. Et on est loin, en effet, des façades de pierre et des ruelles pavées qui caractérisent les centres historiques des grandes métropoles françaises les plus touristiques, comme Paris, Lyon ou Bordeaux.

Cependant, la ville ne se résume pas à son héritage industriel, bien que celui-ci reste un marqueur déterminant, tant au niveau social que patrimonial. On peut rappeler que l’histoire de la « ville noire » (appellation dévalorisante faisant référence à la fumée noirâtre des usines) est aussi celle des luttes sociales ouvrières, des vagues d’immigrations successives venues travailler comme main d’œuvre, d’une exploitation effrénée des ressources « humaines » comme naturelles. Le Musée de la Mine relate, aujourd’hui, les conditions de travail des mineurs, les « gueules noires », et, surtout, d’importants mouvements de protestation qu’elles avaient engendrés.

La ville s’est évidemment transformée depuis cette période tout en restant manifeste d’un cosmopolitisme populaire. L’environnement urbain s’est renouvelé ces dernières décennies, notamment depuis que la municipalité a fait intégrer Saint-Étienne au réseau UNESCO des « villes créatives de design ». Quelques édifices sont alors la manifestation architecturale de cette initiative. Cependant, de nombreux quartiers restés décrépis nécessiteraient encore d’être restaurés, sans que cela implique un processus d’embourgeoisement qui exclurait les populations locales.

Au-delà de ces réalités socio-économiques, de nombreux éléments participent à rendre la ville vivante : deux ou trois feux d’artifice sauvages qui éclatent par-ci par-là, quelques fresques au détour d’une rue, ou encore un nombre assez impressionnant d’amicales laïques au kilomètre carré (des associations liées à l’école publique et engagées en faveur de l’éducation populaire). Saint-Étienne se distingue aussi par la ferveur footballistique de ses habitants : avec une affluence moyenne d’environ 28 000 spectateurs au stade Geoffroy Guichard, autrement appelé « le Chaudron », la ville entière entre en ébullition à chaque match de l’équipe des Verts (surnom du club de Saint-Etienne). Enfin, les loyers très bas la rendent d’autant plus adaptée à la vie étudiante : moins de sous dans le budget habitation, c’est plus de bières artisanales à boire pour un prix très abordable.

Saint-Étienne est également l’une des villes les plus hautes d’Europe, juste après Sofia et Madrid. Malgré des sols contaminés, cette altitude permet parfois de limiter les pics de pollution atmosphérique et apporte une influence montagnarde au climat. Plusieurs fois par an, les toits sont donc recouverts d’une épaisse couche de neige et les chemins pentus du Jardin des Plantes deviennent parfois des pistes de luge improvisées.

Saint-Étienne est aussi entourée de campagnes vallonnées et de forêts verdoyantes où se laissent remplir les paniers de champignons. Entre les plaines et les monts du Forez à l’ouest et les pentes escarpées du parc du Pilat à l’est, on peut se retrouver en pleine nature ou atteindre un point panoramique surplombant la ville en moins d’une heure de marche depuis le centre.

On peut alors apercevoir plusieurs crassiers qui, bien qu’intégrés au paysage, s’en distinguent aussi par leur masse imposante. Le nom, « crassier », n’est pas très reluisant et pour cause : il s’agit d’un tas de déchets géant résultant de l’exploitation minière. Ces collines artificielles sont, en effet, constituées de débris de schistes, de roches, des restes inutiles de bois et de métaux provenant des outils utilisés pour creuser ; en somme, de tous les matériaux qui ressortaient des sols, mais n’étaient pas du précieux charbon.

Ces collines ne sont pas anodines : leur cœur brûlant chauffe à plus de 1000 degrés. Les réactions chimiques dues à l’amoncellement de tous ces produits entraînent une combustion et la production de gaz. Ainsi, près d’un demi-siècle après la fermeture de la dernière mine, de la chaleur et une odeur de soufre émanent encore de ces monticules. Ville Verte ?

 À cause de ce terrain instable et profondément pollué, on a longtemps prédit que ces terres resteraient mortes, désolées, que jamais rien n’y pousserait. Pourtant, aujourd’hui, les arbres et les buissons ont presque entièrement recouvert ces « tas d’ordures » si toxiques. Seuls les sommets restent nus de toute végétation et laissent échapper occasionnellement des volutes de fumée, rappelant que ces collines ont tout de même un petit air suspect, anormal.

Parfois, la ville militante grimpe sur les flancs de ces crassiers pour y disposer des draps blancs ; les lettres formées par les bandes de tissu deviennent alors des messages politiques visibles depuis l’autre bout de la ville. Peu tolérés par les services de police, ces messages sont rapidement retirés, mais laissent l’empreinte d’une atmosphère de mobilisation et de protestation qui, d’une certaine façon, caractérise aussi bien Saint-Étienne. 

 

Sources

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