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Réécritures féministes des mythes antiques – Sita’s Ramayana

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Présentation du Sita’s Ramayana de l’écrivaine Samhita Arni et de l’artiste patua Moyna Chitrakar. Cette adaptation en BD de la célèbre épopée indienne du Ramayana renouvelle notre perception des mythes antiques en racontant l’histoire depuis un point de vue féminin.

 

Il est assez surprenant de constater que certains mythes très anciens, vieux de plus de deux millénaires, restent encore aujourd’hui des références culturelles incontournables. De fait, la richesse de ces histoires repose à la fois sur leur qualité, mais aussi sur toutes leurs réinterprétations qui ont contribué à renouveler le récit à travers le temps. L’intemporalité des mythes peut ainsi s’expliquer par leur constante réécriture qui reflète souvent des questionnements contemporains.

En Inde, la mythologie hindoue occupe une place importante dans la société. Les deux grands récits épiques de la littérature sanskrite, le Mahabharata et le Ramayana, sont réadaptés partout (cinéma, BD, théâtre…) et les enfants grandissent souvent avec ces textes.

Petit résumé de l’épopée du Ramayana

Le Ramayana, composé entre le IIIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle, relate les péripéties de Rama, roi légendaire d’Ayodhya. Couramment représenté avec son arme de prédilection, l’arc, il est réputé pour ses qualités guerrières et sa vertu morale. Ce jeune prince talentueux est, cependant, écarté du trône à la demande d’une belle-mère un peu diabolique – un motif visiblement récurrent, de Blanche-Neige à la mythologie hindoue.

Condamné à l’exil, le pauvre Rama quitte sa ville natale accompagné de sa belle épouse, Sita, et de son jeune frère Lakshmana. Alors qu’ils se sont réfugiés dans la forêt, leur existence tranquille est perturbée quand Surpanaka, sœur du démon-roi Ravana, s’entiche de Lakshmana et tente de le séduire. Ce dernier repousse ses avances et, d’un geste impulsif, lui tranche le nez ; humiliée et mutilée, Surpanaka demande à son frère de la venger. Celui-ci enlève donc Sita qui n’avait pourtant rien à voir avec cette histoire, et la retient prisonnière sur l’île de Lanka.

Avec l’aide de son frère et du dieu-singe Hanuman, Rama mettra tout en œuvre pour secourir son épouse : il construira même un pont avec les animaux de la forêt pour traverser les eaux et mener son armée jusqu’à son ennemi. Après une guerre sanglante, il sort victorieux de la bataille et libère Sita.

Dans certaines versions, le récit s’arrête là : Sita et Rama rentrent paisiblement à Ayodhya où ils récupèrent le trône et vivent heureux pour le restant de leurs jours. Pourtant, d’après la version supposément originale (écrite par le poète et sage Valmiki), l’histoire continue et prend une tournure dramatique pour le personnage de Sita. Rama affirme, en effet, avoir sauvé son épouse dans le seul but de laver son honneur face à l’affront que constituait son enlèvement. Surtout, malgré les affirmations de Sita, il ne peut croire que Ravana ne l’ait pas touchée pendant ces quelques mois de captivité (texte antique, la question du consentement féminin ne se pose même pas). Pour prouver sa chasteté, Sita devra se soumettre à une « épreuve du feu » : elle se jette dans un bûcher, mais n’est pas brûlée par les flammes qui reconnaissent sa pureté. C’est uniquement à la suite de cette épreuve cruelle, que Rama accepte de la reprendre comme épouse et qu’ils rentrent enfin à Ayodhya.

Quelques temps plus tard, alors que Sita est enceinte, des rumeurs autour du couple remettent en question l’autorité de Rama. Pour couper court à ces médisances, le roi change de nouveau d’avis et décide de se séparer définitivement de Sita. Il exhorte son frère à l’abandonner dans la forêt alors que celle-ci est à un stade avancé de sa grossesse. Sita donne donc naissance à deux fils au milieu de la jungle et les y élève jusqu’à leur adolescence, période à laquelle ils finissent par rencontrer leur père. Rama fait des jumeaux ses héritiers et propose à Sita de revenir, elle aussi. Le refus de Sita a alors du sens puisque, par sa décision, elle prend son destin en main, malgré le renoncement radical que cela implique : en faisant appel au dieu du feu qui l’avait auparavant protégée des flammes, elle disparaît, en effet, pour toujours en s’engouffrant dans le sol.

Le Ramayana raconté par le personnage de Sita

L’histoire tragique de Sita fait pleinement partie de l’épopée et a inspiré de nombreuses réécritures, dont l’incontournable best-seller Sita’s Ramayana.

L’ouvrage est le fruit d’une riche collaboration entre l’auteure Samhita Arni et l’artiste patua Moyna Chitrakar. Les communautés patuas, principalement localisées dans le nord-est de l’Inde, sont spécialisées dans la réalisation de rouleaux peints qui, progressivement déroulés, accompagnent un récit oral. Le texte, qui relate le récit épique du point de vue de Sita, a ainsi été écrit à partir de ces illustrations qui rendent compte de la finesse de cet art traditionnel.

Sous la forme d’un roman graphique, Sita’s Ramayana conjugue cette pratique des arts narratifs illustrés avec une réécriture féministe de l’épopée. Le récit commence à un stade déjà avancé de l’histoire. Sita, enceinte, est alors seule dans la forêt et implore l’esprit de la jungle de l’accueillir et de la protéger. C’est dans ce contexte tourmenté que Sita devient la narratrice de son histoire qu’elle raconte alors à la première personne du singulier.

Les réécritures du Ramayana depuis une perspective féminine ne datent pas d’hier. Le livre de Samhita Arni et de Moyna Chitrakar s’inscrit dans le prolongement d’une longue tradition, orale et écrite où les femmes remettent en question l’habituelle héroïsation de Rama pour pointer l’ambiguïté morale du personnage et sa cruauté envers son épouse. Par extension, le personnage de Sita illustre les violences que peuvent subir les femmes dans le cadre du mariage : l’impératif de chasteté, le poids du doute, le rejet et l’abandon brutal. Enfin, la question du consentement de Sita, face à Ravana, ne se pose même pas dans le récit, signe de la complète objetisation du personnage. Elle n’est pas condamnée pour avoir trompé son mari, mais pour avoir vécu, contre son gré, avec son ravisseur.

Enfin, Sita n’est pas le seul personnage féminin dont l’histoire met en exergue les rapports de genre. On peut souligner que l’élément déclencheur, à l’origine de toute l’épopée, n’est autre que l’immense violence dont est victime Surpanaka, la sœur de Ravana, quand elle tente de séduire Lakshmana. Le geste de ce dernier qui lui coupe le nez, peut être interprété comme une répression brutale du désir féminin. C’est, de plus, une autre femme, Sita, qui subira les conséquences de cet évènement.

Ces réécritures permettent d’aborder les mythes hindous avec un œil nouveau. Au-delà du sexisme véhiculé par certains textes, nos lectures contemporaines exclusivement centrées sur les hommes et leurs exploits guerriers contribuent, en effet, à renforcer les stéréotypes de genre et à invisibiliser les femmes qui jouent pourtant un rôle dans ces histoires. Un rôle subalterne, certes, du fait de la domination masculine, mais un rôle actif qui remet parfois en cause cette même domination. Quand les femmes sont placées au cœur du récit, ou même, lorsqu’elles en sont les narratrices, les mythes ne peuvent alors qu’être enrichis par ces perspectives alternatives. En appréhendant par la même occasion les enjeux de genre, ces réécritures participent à un renouvellement du patrimoine littéraire ancien au profit d’une approche féministe.

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Rama, Sita et Lakshmana, sur le chemin de l’exil.

 

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Lakshmana, le frère de Rama, mutilant Surpanaka, la sœur du démon Ravana. Ce dernier est généralement représenté avec 10 têtes et parfois 20 bras.

 

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Sita au milieu des flammes, lors de « l’épreuve du feu ». ©Tara Book Private Limited 2011 Arni/Chitrakar

 

Sources / Bibliographie :

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