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Rapture, une réalité incisive

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Lorsque l’on entre dans le Monastère de Montréal, pour assister à l’étonnant Rapture, chorégraphié par Dave St-Pierre, on ne s’attend certainement pas à la véritable secousse émotionnelle que l’on va subir au fil des minutes du spectacle. Pourtant, Stacey Désilier, Nicholas Bellefleur, Tony Bougiouris, Miranda Chan, Lael Stellick, Rony Joaquin Figueroa (Kuntiana), Emilio Brown, Vincent Reid, José Dupuis et Mélusine Bonillo, les artistes à l’initiative de cette œuvre collective, n’ont pas eu besoin de plus d’une soixantaine de minutes pour nous troubler.

Dès les premières minutes, les interprètes-créateurs de Rapture nous convient, néanmoins, à une petite célébration, tout en musique et en festivité. Une célébration pour eux-mêmes, avant tout, autour de leur amitié et de la solidarité qui semble les lier, mais également une invitation pour nous, spectateurs, qui plongeons alors progressivement dans leur univers. On apprécie, d’ailleurs, de ne pas tous se reconnaître à travers ces personnages hauts en couleur. Car, comme l’a souligné Dave St-Pierre lui-même, « c’était important d’avoir cette diversité, pas juste dans les couleurs de peau, mais aussi dans les gabarits et les genres. » Nous le soulignons, aujourd’hui, plus que jamais et il est grand temps de ne plus s’en tenir aux mêmes représentations physiques à travers les arts et la culture.

Malheureusement, le monde représenté dans Rapture est, en écho au nôtre, parfois hostile à de tels éclats de joie, d’esprit de communauté et de diversité. Lorsque la musique joue ses dernières notes et que les différents convives s’éloignent pour reprendre le chemin de leur domicile, l’atmosphère et l’histoire que nous conte les interprètes-créateurs prennent une tout autre tournure. Bien moins enchanteresse que celle qu’elle nous proposait quelques minutes auparavant. D’abord la surprise, l’inquiétude, puis la violence. Trop spontanée pour ne pas nous toucher. Trop banalisée pour ne pas être pointée du doigt. Aujourd’hui, plus que jamais. Toutefois, la violence de Rapture, comme celle de la réalité, ne se termine pas une fois que les agresseurs s’éloignent avec dédain.

Si elle n’est que fugace et passagère, pour le spectateur comme pour celui qui la vit, son empreinte, elle, ne cesse d’en tourmenter ses victimes. D’abord l’incertitude, la honte, le questionnement perpétuel qui conduisent, malgré l’affection des uns et des autres, à l’éloignement et à l’isolement. Puis le rejet des autres, direct ou indirect, tout aussi brutal, si ce n’est plus percutant encore, car il se construit sur des idées préconstruites et des convictions arrêtées. Et Rapture marque avec un réalisme presque indécent cette réalité inexprimable, lorsque la talentueuse Mélusine Bonillo marque son désespoir de cris déchirants. Si elle est seule sur scène, et paraît traduire toute sa souffrance dans sa voix, elle ôte ainsi la nôtre sans détour. Mais après la douleur, la solitude, la haine et les blessures, le parcours de son personnage s’interrompt malheureusement sur une note tragique, qui nous ramène alors au réel et nous force à comprendre que l’histoire que nous venons d’observer dépasse largement la fiction.

Le récit de Rapture, et ses récits plus globalement, pourraient dépeindre une réalité d’un autre temps, des discriminations et des actes violents dont on entend parler dans les hommages rendus à nos prédécesseurs, ceux qui se sont battus pour qu’aujourd’hui, nous puissions vivre plus librement. Malheureusement, Rapture traverse les âges et présente un parcours qui pourrait tout aussi bien avoir lieu en 1980, qu’en 2022. Par son réalisme incisif et par le talent de ses interprètes-créateurs, il nous fait prendre conscience que les combats que nous menons depuis plusieurs décennies déjà… n’ont jamais été aussi actuels.

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