
Daniel Bellegarde est un percussionniste canadien aux origines haïtiennes qui nous surprend avec son nouveau disque Pastourelle. Le singulier s’applique ici, car il dresse un historique d’une danse qui s’appelle la pastourelle et signifiant aussi, pour lui, un retour aux sources dans sa composition musicale.
Selon l’histoire littéraire française, le terme « pastourelle » définissait un genre poétique médiéval qui « met en scène, en alternant dialogues et parties narratives, une tentative de séduction d’une jeune bergère par un chevalier ». Mais par extension, dans le domaine musical, la pastourelle est un genre lyrique médiéval puisque dans la langue du Moyen-Âge, « pastourelle » signifiait « bergère ». Au sein de la tradition littéraire française, nous pouvons citer Christine de Pizan et Adam de la Halle qui furent des promoteurs de la pastourelle, une poésie qui s’inspire de la pastorale.
« C’est en souvenir de cette longue tradition littéraire que j’ai voulu me pencher sur les caractéristiques de ce genre littéraire français et m’intéresser à sa transposition musicale dans l’œuvre », Pastourelle, Daniel Bellegarde.
Dans le cadre de cette interview, il s’est confié sur ses influences musicales et littéraires et le mode de composition de l’album Pastourelle.
Pourquoi avoir choisi le terme de « pastourelle », sachant qu’il est dérivé de la tradition de la pastorale ? Avez-vous voulu vous référer à la tradition de l’amour courtois pour le titre de votre album ?
Dans les danses et musiques de quadrilles de Guadeloupe, c’est la 4e figure. La 1ère étant Pantalon, la 2e, l’Été, la 3e, la Poule et la 4e, Pastourelle. Mon but est de faire revivre ce bel héritage et de le faire à ma manière, avec ma vision personnelle.
Cet album est-il pour vous celui de la maturité ? En quoi avez-vous modernisé la pastourelle ?
Effectivement, c’est un album plus accompli musicalement. Mon grand-père a écrit l’histoire d’Haïti pour les lycéens. Et curieusement, sans l’avoir connu – puisqu’il est mort très jeune – je me suis toujours intéressé à l’Histoire. Comme j’habite à Montréal et que le quadrille est une musique traditionnelle et ancienne, j’ai voulu lui donner plusieurs couleurs au niveau esthétique, à travers mes rencontres et expériences musicales. J’ai fait quelques arrangements avec des instruments celtiques et brésiliens avec mon ami brésilien Rodrigo Simoes.
Est-ce que cet album constitue pour vous une sorte d’anthologie de votre parcours ?
Le terme anthologie est peut-être un grand mot, mais on pourrait dire que je suis un music collector ! J’aime fouiller les archives, les documents sonores ou les partitions. D’ailleurs, cet album-ci, Pastourelle et l’autre, Anba Tonèl, font partie des documents du SRDMH (Société de Recherche et de Diffusion de la Musique haïtienne) et du LRMM, qui est un laboratoire de recherche en musique du monde de l’Université de Montréal, dirigé par le musicologue émérite Claude Dauphin d’Haïti.
Quelles caractéristiques empruntez-vous à la pastourelle ?
Si vous parlez de caractéristiques au niveau musical, ça serait l’utilisation du tambour sur cadre créole que l’on appelle « tambour bas », du ti-bwa, du cha-cha et du graj (siyak), qui sont liés à l’interprétation des quadrilles.
Comment qualifieriez-vous cet album par rapport à l’ensemble de votre œuvre ?
C’est l’évolution naturelle de mon projet et de ma trilogie ! C’est un passage !
Quelles ont été vos influences littéraires et musicales ?
Ne riez pas de moi, mais Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry m’obsède chaque fois… C’est un chef-d’œuvre ! Sinon, j’aime Dany Laferrière et Philippe Djian. En musique, c’est plus difficile. Il y a tellement d’artistes que j’aime ; je vais en nommer quelques-uns : Maxime Le Forestier, Georges Brassens, Lokua Kanza, Saif Keita, Beethova Obas, Dédé Saint-Prix, Gilberto il, Caetano Veloso, Manu Dibango, Ravi Shankar. Dans les percussions, j’aime Lénor Fortuné dit Azor, Ti Roro, Mino Cinélu, Paulinho da Costa, Airto Moreira, Nana Vasconcellos, Glen Velez, Changuito, Burhan Ocal.
Quelles sont les actions que vous entreprenez pour sensibiliser à la patrimonialisation des cultures des Antilles françaises ?
Je vais défendre les contredanses, quadrilles, valses, menuets Congo et troubadours de Haïti et des Antilles françaises dans les théâtres, maisons de la culture ou festivals. C’est une musique fragile et peu connue en dehors des îles des Caraïbes. Il y a peu de relève chez les musiciens âgés malheureusement.
Avez-vous conçu cet album comme un itinéraire pour offrir un panorama de vos influences ?
Bien sûr, en l’écoutant, vous constaterez mes influences brésiliennes, celtes, country et classiques…
Vous considérez-vous comme un passeur de mémoire au niveau de la musique antillaise et que souhaiteriez-vous comme destinée à cet album ?
C’est le but de mes démarches et j’espère pouvoir transmettre, par l’histoire de cette musique, l’héritage riche de cette culture peu connue en dehors des Antilles françaises.
Avec cet album aux sonorités éclectiques, Daniel Bellegarde cherche à faire découvrir les rythmes de la musique, en y mêlant des influences sud-américaines, mais cet album se présente également comme un florilège de la musique haïtienne et antillaise. Cet album s’apparente comme étant un itinéraire qui vous transporte dans les influences musicales de Daniel Bellegarde, et si vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire de la pastourelle, reportez-vous aux références que nous mettrons en bibliographie en fin d’article.
- Site web : www.danielbellegarde.com
- Facebook : @daniel.bellegarde
- Instagram : @daniel.bellegarde
Bibliographie et sitographie
- Michel Zink, Poésie et folklore au Moyen-Âge, éditions Bordas 1972.
- Christine de Pizan, la Cité des Dames, traduction de Hicks Éric et Thérèse Moreau, Livre de poche, 2021.
- Geri L. Smith, The Medieval French Pastourelle Tradition : Poetic Motivations and Generic Transformations, University Press of Florida, 2009.
- Daniel Bellegarde https://www.danielbellegarde.com/ [consulté le 27 mai 2022]
- Vidéo de Pastourelle : https://www.youtube.com/watch?v=f1B4B23LVM0