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Orthographe, vers de nouvelles formes de discrimination ?

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Chaque année, nombreux sont ceux qui se plaignent d’une baisse de niveau en français, notamment en orthographe. En effet, une étude réalisée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (ministère de l’Éducation nationale) conforte cette idée. Cette étude pointe aussi un élément intéressant : il existerait une corrélation entre l’origine sociale des élèves et leurs résultats obtenus à cette dictée. Est-il possible d’établir un lien entre la classe sociale et la maîtrise de la langue française ? Comment expliquer la place qu’occupe l’orthographe dans la société ? Devient-elle un objet politique reproduisant des schémas discriminatoires ?

 

Les résultats du baccalauréat sont tombés il y a moins d’un mois. Le constat est une nouvelle fois sans appel : rares sont les copies dans lesquelles ne se glissent pas quelques fautes d’orthographe. Chaque année, nombreuses sont les personnes qui se plaignent d’une baisse de niveau en français, notamment en orthographe. En effet, une étude réalisée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (ministère français de l’Éducation nationale) conforte cette idée. Pour la même dictée proposée à des élèves de CM2 en 1987, 2007, 2015 et 2021, on observe que le nombre moyen de fautes est en augmentation comme en témoigne ce tableau.

Cette étude pointe aussi un élément intéressant : il existerait une corrélation entre l’origine sociale des élèves et leurs résultats obtenus à cette dictée. Est-il possible d’établir un lien entre la classe sociale et la maîtrise de la langue française ? Comment expliquer la place qu’occupe l’orthographe dans la société ? Devient-elle un objet politique reproduisant des schémas discriminatoires ?

 

L’histoire de l’orthographe, pas si linéaire

Pour comprendre notre rapport à l’orthographe, il est important de faire le point sur son histoire. Nous pouvons la définir comme étant « l’ensemble des règles fixées par l’usage, la tradition, qui régissent l’organisation des graphèmes, la manière d’écrire les mots d’une langue ; connaissance et application de ces règles » (d’après le CNRTL). En effet, il a été nécessaire à partir du xve siècle de convenir d’un choix dans l’écriture de la langue, en parallèle du développement de l’imprimerie. L’orthographe naît donc d’un besoin d’harmonisation, d’uniformisation et de simplification de la langue. C’est un peu plus tard qu’apparaît l’Académie française (1634). Cette institution a pour mission de : « Fixer la langue française, lui donner des règles, la rendre pure et compréhensible par tous. » Convenir d’une orthographe n’est pas si simple. Dès le début de cette uniformisation, les avis divergent : conserver une trace visible de l’origine du mot, opter pour une retranscription phonétique. Il a été question notamment de supprimer des lettres de l’alphabet, comme le propose Richelet au xviie siècle. Le débat est encore d’actualité aujourd’hui, malgré l’évolution de la langue, très peu de réformes orthographiques ont été adoptées par l’Académie française.

 

L’orthographe et les Français, un amour désavoué ?

Si les règles d’orthographe n’ont pas évolué au même rythme que la langue orale, pourquoi accordons-nous autant d’importance à celles-ci ? En effet, les Français sont toujours fortement attachés à l’orthographe. Elle représente une figure d’autorité et sa maîtrise est souvent assimilée à une forme d’intelligence. Cette valorisation, presque démesurée, peut s’expliquer par l’importance que la société lui accorde depuis plus d’un siècle : cela commence à l’école, s’ensuit à l’embauche, au travail… L’orthographe peut être considérée comme un élément du patrimoine culturel français. En effet, on y retrouve toutes les caractéristiques des éléments constitutifs du patrimoine : héritage du passé, conservé, transmis de génération en génération représentant une valeur commune au peuple concerné. Ainsi, la maîtrise de l’orthographe dépasse sa fonction codificatrice qui lui est associée : il s’agit de valeur plus profonde, ancrée dans la culture française.

 

L’orthographe, marqueur social

Comme évoqué ci-dessus, on accorde beaucoup d’importance à l’orthographe, ce depuis plus d’un siècle. Dès l’école, ses règles nous sont inculquées et répétées, les erreurs sanctionnées. Maîtriser la langue française est devenu une compétence majeure dans le monde professionnel. C’est un véritable marqueur social. Ainsi, les élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage de ces règles développent alors un handicap scolaire, puis professionnel, mais avant tout social. L’orthographe peut alors impacter les notes obtenues aux examens ou l’embauche. En effet, il peut arriver que certaines entreprises proposent une dictée à leurs candidats lors d’un recrutement. Cela prouve bien que l’orthographe est un critère relativement important dans la vie sociale des Français. Or, cela devient un problème lorsque l’on observe que les élèves qui ont de meilleurs résultats en dictée sont ceux provenant de milieux favorisés. C’est ce que pointe l’étude de la DEPP (ministère de l’Éducation nationale) : les élèves de milieux favorisés font en moyenne 15,5 fautes, contre 21,9 fautes pour les élèves issus de milieux les moins favorisés. L’orthographe constituerait alors un des éléments reproduisant les inégalités sociales.

 

Une équation insolvable ?

Pallier ce schéma répétitif n’est pas si simple. Il conviendrait dans un premier temps de déterminer le problème : s’agit de l’importance démesurée que l’on accorde à l’orthographe ? Ou bien, sommes-nous trop laxistes dans l’apprentissage de la langue française ? Peut-être aussi ne faisons-nous pas évoluer la langue assez vite ? Il est difficile d’apporter des réponses simples à ces questions. En effet, dès l’enfance, la langue française fait partie des enseignements obligatoires dispensés à l’école. La part des heures de français (un tiers du volume hebdomadaire) n’a pas changé depuis le début du xxe siècle. En rajouter serait au détriment d’autres matières. L’autre angle d’approche serait de repenser l’orthographe : si cette dernière donne autant de fil à retordre, c’est aussi, car ses règles sont complexes. Par exemple, l’écriture d’un mot relève souvent de son étymologie, savoir cela nécessite alors des connaissances en matière de lexicologie (ce qui ne facilite pas son apprentissage). On touche ici un aspect très complexe de la question : comment conserver l’histoire de la langue que revêt l’orthographe, en facilitant son accessibilité au plus grand nombre ? Si ce dilemme semble insolvable, y réfléchir permet déjà de prendre du recul sur la question, et d’entrevoir différentes pistes pour y répondre.

 

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