Le projet « Entre les lignes » propose cette fois de faire découvrir la poésie érotique d’Odailta Alves. Comment décrire les corps cachés ? Comment lutter ? La poète nous explique son cheminement et son processus d’écriture.
Est-ce que tu peux te présenter ?
Je suis native du récif, d’une origine simple et j’ai grandi dans une favela. Je me considère comme une femme afro, noire, africaine et lesbienne. Je suis professeure de langue portugaise brésilienne à l’école publique.
Comment as-tu commencé à écrire?
Je suis d’un milieu très défavorisé. Dans une famille de neuf frères et sœurs, j’étais la neuvième, la dernière. J’ai été la première à lire, à écrire et après, à aller à l’université. J’ai commencé à écrire grâce à la rédaction de lettres, parce que j’habitais dans une maison et une communauté analphabète donc je rendais service à la communauté et à la famille. À cette époque-là, il n’y avait pas toute la technologie d’aujourd’hui et à force d’écrire des lettres, je suis devenue une lectrice assidue. J’ai ensuite copié tout ce qui attirait mon attention et à partir de cet exercice, j’ai débuté l’écriture de mes propres textes.
Qu’est-ce qui guide ton écriture (qu’est-ce qui t’inspire)?
Je suis inspirée par le quotidien lui-même. Ce que je cherche est ce qu’il me manque. J’écris ce que j’aimerais lire et je cherche de l’inspiration pour d’autres écrits. Je n’écris pas seulement sur la douleur, mais aussi sur d’autres perspectives de la vie : l’érotisme, par exemple. Ce sont des narrations qui ont souffert du silence, des discours interdits : ceux des minorités.
Pourquoi le choix de ce thème ?
« Pretos prazeres » (Plaisirs noirs) a été écrit pendant la pandémie. J’ai vraiment changé d’écriture, de façon stratégique pour ne pas devenir folle ou malade. J’ai changé l’activisme pour l’érotisme à cause du contexte, de la sensibilité. L’activisme est présent dans le sens où les protagonistes sont encore noir.e.s et ici, iels sont libres. Iels peuvent devenir ceux.celles qu’iels veulent. C’est un peu un livre révolutionnaire parce que là c’est une femme, noire et le corps de la femme noire. C’est un corps qui a été violé, interdit ; un corps qui n’a pas le droit de dire non. Aujourd’hui, j’ai écrit un livre comme celui-là et je peux m’assumer comme lesbienne.
Comment a été reçu ce livre ?
J’ai créé une méthodologie, de l’expérimentation. Je suis entrée en contact avec une femme transsexuelle, une femme hétéro blanche, une hétéro noire, une autre pansexuelle. À partir de là, j’ai bien écouté l’opinion et les commentaires qui ont tous été positifs. J’ai invité ces femmes à écrire des textes. Au début, j’ai seulement publié la couverture du livre sur les réseaux sociaux et quelques extraits de textes et ça a beaucoup fonctionné. 90 % des lecteurs sont des femmes. Quelques fois, un homme arrive et ne comprend pas la proposition, mais ce n’est pas la majorité.
Peux-tu parler de ton processus d’écriture ?
Pour écrire, j’ai parfois besoin d’un défi. D’autres fois, je ne sais pas l’expliquer mais je suis inspirée. Dans ce cas, j’enregistre l’idée par audio pour ne pas perdre l’inspiration et après je m’organise pour retranscrire. Quand je décide d’écrire, j’aime faire ça très tôt. C’est le meilleur moment parce que c’est silencieux et calme.
Comment as-tu commencé à écrire ce livre Pretos prazeres ?
Ce livre a été écrit pendant la pandémie mais il a aussi été écrit au commencement d’une relation. Quand on est au début d’une relation, on est déjà dans un esprit favorable à l’écriture d’un texte comme cela. Pendant un voyage à Salvador avec ma copine et un couple d’ami.e.s, je ne sais pas expliquer mais j’ai ressenti le besoin d’écrire sur ce sujet. Je ne pensais pas écrire un livre, c’était un nouveau langage : des mini contes. J’avais déjà approché le thème de l’érotisme dans quelques poèmes mais peu. Au départ, c’était seulement le plaisir d’écrire.
Penses-tu écrire encore sur ce sujet ou d’autres ?
Ce qui est sûr, c’est que deux livres pour la jeunesse sont prêts. Même si mes candidatures pour des appels à projets ne sont pas retenues, je vais, à nouveau, investir pour publier quand même. J’ai aussi une anthologie financée par l’état.
Quel(s) message(s) veux-tu faire passer ?
Je suis contre les intellectuel.le.s qui disent qu’on ne peut pas s’approcher du texte parce qu’il ne représente rien, etc. Je pense le contraire. Mon écriture représente les minorités, les défavorisé.e.s, les corps interdits, violés, les discours silencieux et surtout celui des femmes noires. Ma littérature représente ma parole, mon discours et représente l’intersectionnalité. Je veux donner une autre signification au corps noir.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
D’abord, être vivante pour écrire. Ensuite, être écrivain.e indépendant.e ; ce qui est très difficile. Il y a beaucoup de dépenses et certaines fois, il n’y a plus d’argent pour payer des maisons d’édition. J’attends les résultats de mes candidatures pour me soulager.
Où peut-on découvrir ce que tu fais ?
https://www.recantodasletras.com.br/autor.php?id=72793
Entretien mené par Inès Naili par l’intermédiaire de Glória Terra, traductrice et professeure de français au Brésil.