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Nana : un manga féministe, humaniste, réaliste et mémorable

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« Dis, Nana… Tu te souviens de notre rencontre ? Moi je suis plutôt du genre à croire à ce que l’on appelle le destin. Alors pour moi, c’est un effet du destin. Tu peux rire. » Nana est un manga d’Ai Yazawa qui commence autour d’une rencontre incroyable. Destinées à se trouver, Nana Osaki et Nana Komatsu se découvrent à bord d’un train direction Tokyo, dans les années 2000, elles finissent par se retrouver lors d’une visite pour le même appartement, le 707. En résulte une colocation mouvementée et touchante entre ces deux jeunes femmes qui cherchent leurs vérités.

 

« À l’époque, je n’étais pas capable d’aimer quelqu’un correctement et pourtant, je mourrais d’envie d’être aimée. » – Nana – tome 4

Nana est un manga célèbre écrit par l’incroyable Ai Yazawa. Malheureusement au Japon la vie de mangaka est très difficile et suite à des complications de santé son œuvre reste en pause depuis 2009. En 2016 lors d’un interview elle déclare à ce sujet : « Un grand accomplissement. Mon challenge était de sortir toutes mes idées, tout ce que j’avais en tête. Je suis désolée de vous faire attendre, mais c’est sûr, un jour je reviendrai et donnerai le meilleur de moi-même ». En juin 2022, elle délivre de nouvelles petites illustrations lors de son exposition “ALL TIME BEST Ai Yazawa” à Tokyo puis à Yokohama et enfin à Osaka; ce qui a donné beaucoup de baume au cœur à tous ses fans. Parler de cette œuvre était quelque chose d’important pour moi car elle m’a énormément bouleversée et je me suis identifiée à certains personnages. Ce manga m’a donné beaucoup de force pour le futur, mais aussi du réconfort. Ainsi je souhaite le partager au plus grand nombre, notamment aux jeunes femmes et aux jeunes filles qui se cherchent dans une société qui n’est pas toujours en leurs faveurs. Ainsi, la dernière exposition de l’autrice m’a rappelée qu’il ne faut pas hésiter à diffuser et faire découvrir des œuvres aussi belles et impactantes, surtout quand elles sont terminées ou en pause afin qu’on ne les oublie pas.

L’œuvre nous dépeint avec réalisme la société japonaise des années 2000. Le récit débute à bord d’un train en direction de Tokyo. On assiste à une rencontre, digne du destin, qui va tout changer pour deux jeunes femmes. Curieusement elles se rendent vite compte qu’elles ont le même âge, vingt ans, et le même prénom, Nana.

Ainsi, elles discutent et font connaissance brièvement. Toutes deux se rendent à la capitale du Japon pour des raisons différentes. On sent un lien qui se crée en elles, alors qu’elles ne se connaissent pas et sont d’apparences totalement opposées. L’une est une chanteuse de rock vêtue de noir, impulsive, désinvolte et mystérieuse : Nana Osaki. Alors que l’autre porte des vêtements rose bonbon qui lui donne une allure plutôt soignée, mais elle semble très fleur bleue et candide : Nana Komatsu, surnommée par la suite Hachi. Une fois descendues du train elles prennent des chemins différents, pourtant le destin les rattrapent, lorsque peu de temps après leur arrivée à Tokyo, elles cherchent toutes deux un appartement. Elles remarquent exactement le même : l’appartement 707. Celui-ci deviendra alors le lieu où elles vivront, s’épanouiront et pleureront ensemble.

Nana est un manga haut en couleur, à ne pas mettre entre toutes les mains, autant dans ce qu’il défend et dénonce, qu’au niveau du visuel. L’autrice a d’abord étudié la mode avant de devoir arrêter pour son travail de mangaka qui commençait à lui prendre beaucoup trop de temps. Cette âme de styliste de mode se transmet alors dans son manga ajoutant un charme incroyable à l’œuvre. Elle rend d’ailleurs hommage à Vivienne Westwood dans le style vestimentaire des personnages, jusqu’à ce qu’aujourd’hui beaucoup associent l’œuvre à la marque et portent les mêmes bijoux que les personnages, rendant alors autant hommage à la styliste qu’à Ai Yazawa.

Au niveau des valeurs, Nana nous délivre des leçons de vies. Il faut savoir que Nana est un shōjo, c’est-à-dire un manga ciblant un public de jeunes filles où l’on suit une héroïne. Beaucoup pensent que les shōjos sont seulement des histoires d’amour naïves et idiotes, ce qui n’est pas le cas, bien que certains shōjos véhiculent vraiment des idées patriarcales, avec par exemple, une jeune fille qui veut se marier et être une bonne femme au foyer. Ou parfois on a le cliché de la jeune fille bête et maladroite qui tombe amoureuse du « bad boy ». Mais ce n’est pas toujours le cas. Ici, avec Nana, on découvre un shōjo sérieux qui remet en cause les normes de la société. Le féminisme est au cœur de l’œuvre, d’un côté avec le personnage de Nana Osaki qui apparaît sûre d’elle, confiante et indépendante alors qu’elle est en réalité très résiliente, elle cache ses failles. De l’autre côté, Hachi est une jeune femme qui a toujours été prise pour une fille simple d’esprit. Elle a grandi à la campagne dans une famille japonaise banale ce qui a donc amené à son esprit l’envie – qui est en réalité plutôt un besoin – de se marier pour fonder une famille, d’avoir de beaux vêtements et de jolis objets, alors qu’en réalité elle a juste un énorme vide et un besoin d’être aimée qu’elle essaie de combler en se punissant beaucoup trop dans des relations très toxiques avec divers hommes. Le manga dénonce alors beaucoup la pression que subisse les femmes altérant leurs réels besoins et leurs réels désirs.

L’œuvre traitera également d’autres thématiques avec notamment d’autres personnages tout aussi bien construits que les deux héroïnes. La toxicomanie est abordée, au sein du quotidien des deux groupes de rock japonais que l’on va suivre durant tout le récit, Trapnest et Blast. Aussi d’agressions sexuelles, nous présentant des relations où Hachi se force notamment par peur de beaucoup de choses. L’œuvre se plaît à rappeler à certains que même des relations sexuelles peuvent être non consenties si la fille dit un timide oui.

L’anxiété, les crises de paniques, la dépression, la dissociation, la déréalisation sont aussi traitées et si on y réfléchit on pourrait imaginer des troubles bien précis sur certains personnages. La peur de l’abandon jusqu’à la dépendance est un thème majeur dans l’œuvre : « Dis, Hachi, je voulais que tu restes à mes pieds, quitte à te mettre un collier au cou. Mais je me faisais peur à moi-même, lorsque je pensais ainsi et cest pour ça que volontairement, je laissais une certaine distance entre nous. Jai encore du mal à me faire des amis, jai encore un peu peur… ». Ou encore la maltraitance dans le cadre familial, la mort, et toutes sortes de relations toxiques de manière générale. Et pour finir la prostitution au Japon est très banalisée. Cette œuvre traite également ce sujet, et pas seulement du point de vue féminin mais plutôt du point de vue masculin où un jeune homme mineur s’y est résolu.

Nana n’a donc rien d’une histoire d’amour classique, mais dépeint au contraire tous les vices possibles des relations humaines. C’est un manga qui peut faire comprendre à une jeune femme qu’elle ne doit se soumettre à personne et vivre pour elle ; à un jeune homme qu’il a le droit de se livrer sur ses émotions. Plus clairement, tout le monde peut y trouver quelque chose, un message pour l’aider à avancer tout en réfléchissant sur sa vie et son parcours. Il est évident que Ai Yazawa a vécu beaucoup pour pouvoir dépeindre avec autant de réalisme la complexité des relations humaines. Cette œuvre est comme un voyage, on en ressort différent, il marque, nous fait réfléchir, parfois pleurer ou rire, il peut nous faire grandir, mais on n’en ressort pas indifférent.

Et si vous n’êtes pas trop lecture, une série d’animation et deux films sont sortis adaptant une partie de l’histoire.

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