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Les Madones de Naples : Un projet féministe frappant

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Une artiste anonyme napolitaine utilise le symbole de la Vierge Marie pour passer un message féministe en affichant des images qui parfois dérangent les passants.

Sous des dizaines de cordes à linge pesantes, abasourdi.e.s par le vacarme des mobylettes, on peut contempler des petits sanctuaires votifs enchâssés dans les murs où règnent des statuettes de la Vierge Marie entourée de fleurs, de figures angéliques, de guirlandes lumineuses et de chandelles qui l’illuminent. Nous sommes à Naples. 

À travers les siècles, l’iconographie de Notre Dame a changé, tout en gardant ses symboles de fidélité, dévouement, humilité et pureté (The Economist). Mère de toute l’Humanité, archétype de la féminité chrétienne, Marie incarne l’idéal féminin impossible à atteindre par les autres femmes, celui d’une mère parfaite et d’une vierge immaculée. Malgré son autorité et son pouvoir, elle demeure modeste dans sa posture non sexualisée, les yeux souvent tournés vers le bas, suggérant solennité, humilité, introspection et soumission (The Economist). Forcée dans le rôle de mère et protectrice, elle est la protagoniste d’une histoire dont elle n’est pas l’auteure. 

Délogée de son sanctuaire traditionnel, la madone demeure une figure symbolique, une idée utilisée dans l’art contemporain pour discuter d’enjeux politiques, sociaux, et économiques. Par exemple, la fameuse Madonna con el pistola de Banksy dépeint le lien étroit entre la religion et le crime. Symbolique et signifiant, le pastiche d’œuvres murales napolitaines attire les touristes. Présentant un mélange d’antiquité et de modernisme, de sacré et de profane, le street art rend hommage à des personnalités « référence » artistiques, sportives, religieuses qui ont marqué la ville (Napolike). Parfois, il choque. 

Immortalisée dans une série d’affiches par une artiste napolitaine, la Madone adorée, Mère de tous.tes, dévoile son buste proéminent enjolivé par des lingeries intimes séduisantes, se régale d’un verre de vin rouge, porte un chandail sur lequel est écrit « feminism », fait le doigt d’honneur en souriant, protège la pilule anticonceptionnelle, porte le masque de protection ainsi qu’un maquillage rehaussant sa beauté, et dispose d’un iPhone. Elle nous regarde droit dans les yeux, avec confiance, représentant des sujets d’actualité. Œuvrant dans ce musée à l’air libre, l’artiste inscrit son œuvre dans un mouvement féministe qui cherche à renvoyer à toutes femmes, une figure sacrée et digne du même amour et respect que l’on doit à la Vierge Marie.

Le street art demeure synonyme de destruction. Son association à la rébellion délibérée et à la provocation explique, en partie, pourquoi certain.e.s artistes choisissent l’anonymat ou se cachent derrière des symboles ou identités alternatives. En prenant possession des murs, balcons, fenêtres et autres objets ou surfaces, les artistes s’approprient l’espace public comme canevas de création sans restriction artistique (Wall). Cependant, l’artiste napolitaine Ogni donna una madonna (Chaque femme une madone) a voilé son identité pour laisser la possibilité à chaque femme de se voir elle-même dans l’œuvre, d’être les « réelles propriétaires et protagonistes de [ses] œuvres ». « Chaque femme est la Vierge Marie, » explique-t-elle. 

À travers son art, l’artiste lutte contre la violence envers les femmes à la suite d’un épisode de harcèlement où quelqu’un de son entourage a cherché à la déshabiller car elle portait un décolleté. Son intention n’est pas de dénigrer la Vierge Marie mais de montrer que, comme elle, toutes les femmes sont sacrées et dignes de respect, peu importe leur tenue (Nillo). Pour l’artiste, #metoo est « né pour donner la parole au harcèlement et à la violence étouffés dans le silence. J’ai commencé à créer pour évacuer ma colère après le harcèlement. Même si le combat pour l’égalité est encore long, j’ai déjà gagné car lorsque je regarde nos rues je me dis que maintenant, j’y suis aussi. J’ai gagné grâce à #metoo ».

Certaines affiches, maintenant agrandies et collées si haut qu’on ne peut les enlever, furent enlevées, détruites, déchirées—et parfois reconstruites par la communauté. Alberto Canonico résume l’opinion contradictoire des Napolitain.e.s sur la Madonna ‘prosperosa’. Certain.e.s ont vu les œuvres comme un blasphème, d’autres ont pensé qu’il s’agissait d’une campagne publicitaire et plusieurs se sont montré.e.s indifférent.e.s, disant qu’iels ont vu d’autres de ses représentations dans la ville, et même un Banksy. Parfois, leur visage est celui de célébrités telles que Sophia Loren, Nina Simone, Eva Mendes, Frida Kahlo, et l’influenceuse Flavia Corrado, originaire de Naples. Ces madones reprennent le pouvoir en tant que femmes fortes, déterminées, militantes, expressives, qui s’assument, libres, et non-soumises malgré les préjudices. Pour Andrea Fantucchio, « le message est puissant car Notre Dame est une figure désexualisée, créée dans un contexte patriarcal, qui a toujours dérobé les femmes de leur plaisir charnel. De cette façon, l’artiste lui a donné sa sexualité, la rendant une vraie femme libre faite de chair, d’instincts, et de désirs : c’est un magnifique message féministe ».

Les sept douleurs de Marie deviennent ainsi infinies, touchant les maux universels et personnels de toutes les femmes. On la dépeint non pas comme mère, mais comme femme. Elle devient la protagoniste de son histoire et fait des choix quant à son corps, des choix sacrés (la scelta e sacra). Elle milite pour l’égalité des sexes. Pour les droits civiques. Elle proteste, solidaire avec les manifestations liées au décès de George Floyd. À côté du #WeCantBreathe, on lit les paroles de Nina Simone, « I WAS NEVER NONVIOLENT. » Elle est active, impliquée, et nous invite à l’être aussi. Son regard direct nous impose de nous arrêter et de ne pas l’ignorer. Infirmière de couleur, elle porte son masque, les bras croisés en signe d’autorité, nous rappelant, dit l’artiste « d’être reconnaissant même en dehors de la Covid » aux héroïnes (#healthcareheroes) ayant traversé la pandémie avec courage et détermination.

Ces affiches choquent et dérangent certain.e.s, et en ce faisant, elles appellent une réaction, un questionnement, accomplissant ce que l’art doit faire parfois—passer un message clair et fort qui pousse la pensée du public et invite à examiner sa propre personne et la société. L’artiste explique que plus ce projet avance, plus elle réalise qu’il ne faut pas se laisser démoraliser par l’idée que les choses ne peuvent changer avant que les gens ne changent ; « ça vaut la peine de toujours faire sa part car tôt ou tard, quelqu’un va te remarquer. » Ses œuvres, parfois jugées trop fortes, sont maintenant arrivées légalement près d’une école où les gens comprennent leur message. Ses madones vivent également à Paris et Londres.

 

Contacts de l’artiste

 

Sources

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