Née à Yellowknife aux Territoires du Nord-Ouest et demeurant à Winnipeg au Manitoba depuis 2013, Amber O’Reilly est une passionnée des lettres qui partage ses textes lors d’événements d’envergure et autres parmi lesquels nous pouvons citer : NorthWords NWT, Speaking Crow, Winnipeg Poetry Slam, Winnipeg Fringe Festival, Livres en fête, Festival canadien de spoken word, Aquilon, Winnipeg Free Press, Oratorealis. Cette poétesse et artiste franco-ténoise de spoken word multilingue qui aime les balades – surtout avec un chien -, le chocolat, la nuit, les tisanes et la conversation, anime le micro-ouvert de l’Alliance française du Manitoba, rédige les critiques théâtrales de La Liberté et siège au conseil d’administration de l’Association des auteur.e.s du Manitoba français. Amber a participé à Carrières dans les Arts 2017-2018 de Creative Manitoba avec Lori Cayer.
Entre deux paragraphes d’une future oeuvre, aimons-nous penser, elle répond à mes questions un tantinet impertinentes :
Amber, parles-nous de tes diverses sources d’inspiration et du déclic pour l’écriture !
Je m’inspire de ma vie et de celle de mes proches. Ma poésie touche à des événements marquants, des relations et mes observations de la nature du Nord ou de l’endroit où je me trouve. Elle est donc plutôt ponctuelle – je dois vivre pour écrire ! Puisque ce n’est pas à tous les jours qu’il arrive quelque chose, je n’écris pas à tous les jours, mais j’essaie au moins de réfléchir au quotidien et de laisser mijoter des idées. Ensuite, j’écoute de la musique sans paroles dans mon petit studio et je raconte !

« Écrire » pour toi, c’est …
Digérer les expériences vécues, les décortiquer pour y trouver un sens. C’est peut-être cliché, mais la poésie est, d’abord, pour moi un rituel thérapeutique. Il faut que j’écrive pour comprendre ce qui m’arrive et en conséquence, qui je suis, qui sont les personnes qui m’entourent et qui nous sommes en tant qu’humain.e.s. L’écriture est une forme d’expression qui permet de déterrer les trésors du subconscient, les blessures et les hontes aussi. On met de la lumière sur notre chaos et on le transforme.
Pourrais-tu nous parler de ton enfance et des souvenirs liés à la poésie, la littérature et
les mots ?
Mes parents inventaient des histoires pour mon frère et moi la nuit. Souvent, mon père s’endormait et donc nous pouvions conclure le récit comme bon nous semblait. Au primaire, je me cachais dans la bibliothèque ou dans ma chambre pour lire les textes accompagnés d’images et je composais des petites nouvelles. J’ai appris qu’il y a multiples intelligences et que mon intelligence dominante est linguistique. Au secondaire, lorsque je m’ennuyais en classe, j’écrivais de la poésie sur mes premières peines d’amour. À seize ans, nous avons fait un voyage de famille en Irlande d’où vient mon grand père. Nous avons, tour à tour, embrassé la pierre de Blarney, dite pierre de l’éloquence, dans le Château de Dublin. On raconte qu’elle confère à toute personne assez courageuse pour se pencher vers l’arrière dans le trou pour l’embrasser la magie de l’art oratoire. Je suis certaine que ceci y est pour quelque chose, aujourd’hui ! À treize ans, j’ai pu débuter mon apprentissage de l’espagnol et à dix-huit, j’ai voyagé huit mois en Amérique latine. Des amis et leurs familles m’ont accueillie et je leur en serai à jamais reconnaissante. En cinq semaines au Brésil, j’ai appris un portugais rudimentaire et je tente, aujourd’hui, de maintenir un contact avec ces quatre langues et de m’entraîner à aller vers les mots de façon instinctive et volontaire ; c’est-à-dire de lutter contre les distractions !
Dans le monde des livres et de la poésie, qui sont tes maître.sse.s ?
J’admire profondément la littérature hispanophone dont l’oeuvre de Mario Benedetti et Pablo Neruda, les littératures du monde… bref, les textes qui permettent de connaître une réalité autre que la sienne. Découvrir un lieu, un habitat ou un paysage par l’entremise des mots me permet de me créer des points de repère et m’imaginer tout un univers même si je me trouve à l’autre bout du monde. J’admire la poésie encyclopédique qui rend accessible le contact avec la faune et la flore, la terminologie scientifique et lyrique pour décrire et comprendre l’environnement. C’est un outil-clé pour reprendre l’habitude perdue du rapprochement avec la nature.
Nous nous sommes connues lors du Forum Social Mondial de 2016 avec Développement et Paix. Comment définirais-tu ton engagement social, ta philosophie de vie ou autre(s) ?
Pour moi, les migrations sociales qui s’accélèrent sont un signe que nous sommes peut-être en transition vers le mode de vie de nos ancêtres, un genre de nomadisme, aujourd’hui, assisté par la technologie et l’effritement du choc culturel. Pourquoi ne pas vivre cette effervescence, l’accueillir et la célébrer ? Pour moi, les frontières peuvent détruire et isoler. Cette planète mérite qu’on y vive en respect mutuel, pour mieux la respecter, elle. Depuis le Forum social mondial, je ne suis plus active au sein du mouvement Développement et Paix car je cherche à m’impliquer en dehors d’une contrainte religieuse et de ses prescriptions politiques.
Je suis diplômée du Collège du Monde-Uni Lester B. Pearson du Pacifique qui fait partie d’un réseau de 17 collèges répartis à travers le monde et dont la mission est de “faire de l’éducation une force pour unir les peuples, nations et cultures pour la paix et un avenir durable”. Comme l’a dit M. Pearson dans l’allocution qu’il a prononcée en recevant son Prix Nobel, « Comment peut-on avoir la paix si les gens ne se comprennent pas et comment y arriver s’ils ne se connaissent pas ? » Aujourd’hui, dans la société individualiste de l’Amérique du nord, aller à la rencontre de l’autre est un acte de révolution. Je tente malgré ma nature introvertie de vivre des rencontres tant au niveau local que global, pour me rapprocher d’une compréhension et donc d’une compassion.
Si je te dis « poésie engagée », tu me réponds que …
Il n’existe pas de poésie désengagée pour moi. Nous transmettons tous notre vision du monde de par nos choix, les émotions et les images qui font vivre nos poèmes. Quant à la poésie engagée au niveau de la politique, elle ne suffit pas à elle seule pour provoquer des changements. Mais elle est un moteur puissant et viscéral de conversations qui, elles, peuvent mener à des actions. La poésie engagée est donc un catalyseur et à la fois, un refuge pour permettre aux militants, à tous, de se ressourcer et repartir de plus belle.

Penses-tu que c’est un moyen d’influencer notre façon de faire, de voir, etc … les choses ?
Si oui, pourquoi et comment ?
Tout à fait. J’ai moi-même changé de perspective sur des expériences en les revivant et en dépeignant toute leur vérité. L’art est une loupe pour examiner jusqu’aux atomes, une paire d’ailes pour survoler, un mensonge ou un secret. Pour moi la perspective peut transformer notre rapport aux autres, à nous-mêmes et à notre environnement et donc influer sur nos actions. Combien d’idoles artistiques le monde a t-il connu ? Combien d’univers parallèles ? Bien sûr, le poids des mots est différent pour tous, mais nous sommes perpétuellement entourés de messages, qui, eux sont en grande partie formés par des mots. À quelque part, donc, les mots nous définissent à l’instant et pour toujours.
Dans notre société actuelle où le capitalisme est très ancré, selon toi l’art poétique est …
Une résistance, un retour à la simplicité. Le capitalisme nous forme à la consommation, et la poésie, à la contemplation. C’est un ralentissement par rapport aux excès de vitesse des transactions monétaires.
Et les mots, en général, sont …
Des flâneurs indestructibles.
Si ce n’était pas la poésie, ça serait :
Le théâtre, car je commence à y faire mes premiers pas. Cet été, j’ai écrit la première ébauche d’une pièce de théâtre et ça continue ! Sinon, un métier en lien avec la cuisine ou les animaux.
À chaque mot qui suit, dis-moi ce que cela évoque pour toi :
- Poésie : une amie fidèle et honnête
- Société : casse-tête en construction
- Femme : puissance résolue et solidaire
- Corps : apprendre la reconnaissance et la grâce
- Inégalités : vecteurs de tensions et tremplins pour une collaboration méliorative
- Sexe : un réservoir inépuisable de souvenirs qui appellent à être racontés
- Richesse : jalousie, patience, redéfinition
- Santé mentale : volatilité, constance, patience
Blacky Gyan (Sénégal – Canada)