Même si elle n’utilise que très rarement le terme « trans », Lea Alice se définit comme une femme trans que j’ai eu la chance et le plaisir de côtoyer et même de collaborer avec cette warrior à plusieurs occasions artistiques. Aujourd’hui, notre énième rencontre a pris un tout nouveau chemin car pour la première fois, j’entends le fond de son histoire et vous la partage à travers cet interview :
Lea Alice, d’où vient ce prénom ? Son choix a-t-il une signification particulière pour toi ?
Lea fait référence à la la princesse Leia Organa d’Alderaan ou Princesse Leia, cette femme politique sensible à la Force dans Star Wars. Étant une admiratrice enthousiaste de ce merveilleux univers tandis qu’Alice, c’est une ode à ma fille qui se trouve là-haut.
A quel âge as-tu découvert ta trans-identité et quand et comment ton déclic pour débuter ta transformation en femme t-est-il apparu ?
Plus jeune, j’avais déjà un questionnement. Sauf qu’avec des parents très conservateurs ayant des valeurs inculquées par le catholicisme et une famille qui tenait beaucoup de propos homophobes et transphobes, j’ai dû garder en moi ce questionnement qui, au final et au fil du temps, a engendré beaucoup de tort pour moi, côté social. Je me battais énormément contre moi-même et avec les gens. Fort heureusement, dans la trentième année, j’ai pu enfin sortir de ma coquille et m’épanouir.
Crédit : Valabella
La réaction de tes proches ! Comment l’ont-ils ou elles vécu et cela a-t-il changé aujourd’hui ?
On a voulu m’amener a l’hôpital et me faire interner en psychiatrie. J’ai été ridiculisée puis rejetée.
J’ai déjà lu qu’il y a un baptême avec un choix de famille à faire. Est-ce le cas au Québec, dans la communauté LGBTQA ? As-tu été baptisée ?
J’ai jamais entendu parler de baptême. Par contre, je sais que l’état civil procède au changement de nom et de genre sur le certificat de naissance et, par la suite, toutes les modifications se font aux niveaux provincial et fédéral pour les documents papier et les cartes. Dans mon cas, tout a été légalement changé.
Qu’est-ce qui favorise ou a favorisé ta prise de conscience à propos de ta trans-identité ?
C’est un sentiment en moi qui a toujours été là et me libérer fut plus facile lorsque j’ai délaissé tout le monde pour partir vivre à Toronto où j’avais personne pour remettre en question la direction que ma vie prenait. De plus, ce fut un moment pour travailler sur moi-même et surtout pour effectuer des changements et réparer mes erreurs
du passé ; ce qui était un point important dans ma transition.
Et comment la vis-tu, dans une ville comme Montréal ?
Je mène bien ma vie dans une certaine zénitude et ce, en plus d’avoir atteint plusieurs objectifs que je me suis fixés tant sur le plan personnel que du côté artistique. Je connais un succès sur toute la ligne. Toutefois, le chemin est encore long surtout, par exemple, sur le marché du travail où la discrimination est omniprésente ou encore lors de la recherche d’appartements où l’on assiste à une violence évidente contre les gens de la communauté LGBTQA.
L’idée de faire des défilés de mode est venue comment ?
Mon engouement pour les podiums est advenu à la suite de quelques shootings photos réalisés juste avant mon premier défilé en 2016. J’ai commencé la photo juste après un traumatisme sévère résultant d’une attaque perpétrée par quatre hommes et une femme qui m’ont laissée dans mon propre sang. À mon retour à Montréal, un photographe du nom de Gerry Lauzon ainsi que sa femme Céline m’ont offert un shooting photo et depuis, je me suis découverte comme personne et artiste. Modèle photo et mannequin ne sont pas uniquement les cordes à mon arc. Je joue au théâtre et au cinéma pour des films comme des séries américaines. Et depuis le début de 2018, les contrats se succèdent sur une base régulière.
D’ailleurs, je profite de cette tribune pour remercier chaleureusement André Barrette, Greg Photo, Patrick Porier, Nathalie, David Mereghetti, Leigh Griffith, Louis Ducharme, Luc Bussiere, Karim, Erika Bourget, Nicolas Facq, Georges Long, Pier Huet, Mélanie Maud Nier, Julie Valliere, Raymond Laflamme, Julie Williamson et Dominick Landry qui m’ont donné la chance de me faire photographier et de faire de merveilleux projets ayant servi pour mon portfolio.
- Avais-tu ou as-tu besoin de revendiquer quelque chose ?
Je suis portée à dire que c’est dans l’optique de démontrer que les femmes trans sont aussi belles et capables d’être des mannequins ou des modèles photos, d’être sur scène, au théâtre et sur les plateaux de tournage au même niveau que n’importe quelle femme cis genre.
Je tiens à ajouter qu’au Quebec, il y a quelques artistes trans dans le milieu des arts qui m’inspirent et je les nommerai pas. Cependant, il est essentiel que tout le monde comprenne que nous sommes présent.e.s, que cela soit professionnel ou pas !
Crédit : Greg Fotovz
- Des anecdotes ? Cocasses ou tristes ? Ou autre chose à nous partager ?
D’innombrables commentaires blessants, de la discrimination, des propos transphobes, des problèmes d’acceptation … La liste est longue. Je suis tombée dans la consommation de drogue dure et ai fait une tentative de suicide causée par beaucoup de traumatismes et de haine. Je ressentais le besoin d’effacer le mal. Or, ce fut une mauvaise bonne idée puisque oui, j’ai su oublier le mal tout en me faisant du mal d’une manière dont je ne suis pas fière.
Aujourd’hui, je suis bien heureuse d’avoir la chance de vivre une vie en bonne santé et en pleine forme sans me défoncer. La volonté de m’en sortir était plus forte que tout au monde et, de surcroît, je voulais vivre car ce n’est pas vrai que j’allais crever pour plaire. Le jour de mon changement de nom à l’état civil, j’ai dit à ma fille se trouvant là-haut que je lui rends hommage en vivant une vie réussie pour elle et moi.
Sur une autre mouvance, je me rappelle de mon premier défilé pour lequel, la merveilleuse designer Vallabella devait prendre mes mensurations. Être trans pouvant amener des questions sur mon entrejambes, elle m’a faite sentir bien en me demandant de ne pas être gênée et en ayant des propos inclusifs. Cela a gonflé ma confiance et pour son ouverture, entre autres, je lui serai toujours reconnaissante .
Crédit : Valabella
- Comment décrirais-tu le mouvement LGBTQA au Québec ?
Le mouvement lui-même est continuellement en transformation puisqu’au-delà des Lesbiennes, Gays, Bisexuel.le.s, Transgenres, Queer et Asexué.e.s, il existe divers groupes qui, à ce jour, veulent se rallier à la cause et avoir cette reconnaissance. Il est primordial de tendre la main aux autres et de se supporter sans jugement. Le mouvement LGBTQA a encore une lourde tâche au niveau de l’acceptation car la phobie LGBTQA est présente en 2018, ici au Quebec et partout ailleurs dans le monde. Si l’on prend l’exemple des États-Unis ou de l’Ontario, les droits acquis sont en régression et les différentes institutions religieuses ainsi que leurs lobby conservateurs mènent une lutte anti-LGBTQA. Je ne vise personne vu que nombreux.ses sont les gens de la communauté LGBTQA avec leurs propres croyances, religieuses ou non, qui subissent les contre-coups de ces institutions.
- Comment vis-tu le regard des autres sachant que certains peuvent se montrer offensants voire dangereux ?
Avoir de la haine pour quelqu’un de par son identité, son genre, son orientation sexuelle, sa couleur de peau, sa croyance, l’expression de son genre, …, c’est être faible d’esprit, selon moi. Ce qui a le don de me renverser avec les personnes qui cultivent cette haine, c’est de voir leurs enfants, petits-enfants, famille proche ou éloignée être dans le placard car incapables de vivre leur vie et souffrir en silence ; d’où l’avènement de problèmes liés à l’isolement, à la consommation de drogues ou encore au suicide.
Dans ma situation, je ne vis plus la transphobie comme à mes débuts eu égard à l’évolution de mon image. Les hommes viennent vers moi et je parle ici d’hommes hétérosexuels et bisexuels.
Crédit : Louis Albert Ducharme
- Peux-tu nous décrire la transition d’une personne transgenre ?
Oh Gosh ! La question à un million de dollars car impossible de lui donner une réponse valable pour tous.tes. D’une personne à une autre, le cheminement diffère. Pour certain.e.s, c’est simple alors que pour d’autres, c’est un vrai parcours du combattant avec une tonne de problèmes survenant « avec l’aide » de la famille qui refuse d’accepter et cela peut être dévastateur pour celleux qui le vivent.
- Que veux-tu rajouter ? Et pour celleux qui osent pas sauter le pas ?
Keny Arkana, rappeuse française, d’origine argentine et militante altermondialiste, m’a grandement inspirée avec sa chanson « J’ai osé » et donc voici mes mots pour celleux qui veulent oser :
« J’ai osé regarder mes torts (J’ai regardé mes torts)
Oui, j’ai traversé des déserts (Et j’ai suivi l’étoile)
J’ai osé défier l’époque (J’ai défié l’époque)
Et j’ai osé croire en mes rêves (Sinon qui le fera pour moi ?)
Quand tous veulent te faire rentrer dans les normes (On ne rentre pas dans les normes)
Parce qu’ils ont inventé les règles (Et prôné l’insoumission)
J’ai osé refuser les ordres (J’ai refusé les ordres)
Oui j’ai osé croire en moi-même (Chacun sa route et sa mission) »
Instagram : @lea.alice