Le cheveu est, avec la peau, un marqueur physique, visuellement apparent et permettant d’apprécier la richesse génétique de l’humanité. Dans cette série de trois articles, nous reviendrons sur le plus unique de tous : le cheveu crépu, ce cheveu qui défie la gravité et regarde vers les étoiles comme le feuillage d’un arbre.
Cette série intitulée « Irrévocablement Crépu.e » vous fera naviguer sur le cours turbulent de l’histoire de ce cheveu. Elle aura pour vocation de s’intéresser à la place de choix qu’il occupe dans la marche vers l’acceptation de soi et le retour vers les racines, deux tendances civilisationnelles « lourdes » qui traversent la communauté noire, africaine et afro-descendante.
Le cheveu est avec la peau un marqueur physique, visuellement apparent, permettant de distinguer les êtres humains en différentes catégories génétiques. Dans cette série de trois articles, nous reviendrons sur le plus unique de tous : le cheveu crépu qui, contrairement aux autres types de cheveux, défie la gravité et regarde vers les étoiles comme le feuillage d’un arbre. Cette série ne se veut pas une énième sur le cheveu crépu. Elle aura pour vocation de s’intéresser à ce qui rend si particulier le cheveu poussant sur le crâne de la majorité des mélanodermes.
LE CHEVEU DES PERSONNES AFRICAINES ET AFRO-DESCENDANTES
Ce que représente le cheveu crépu pour les Africains et afrodescendants et sa difficile histoire récente
Le cheveu mélanoderme, aussi appelé cheveu crépu, a été méprisé, incompris, moqué, caché, dénaturé et même combattu tout au long de l’histoire moderne récente. Il a même été associé à quelque chose de diabolique, car certain.e.s lui ont vu une ressemblance avec les poils pubiens jugés impurs par les puritain.e.s protestant.e.s.
Marqueur social important dans les sociétés africaines en fonction de la manière dont ils étaient coiffés, portés et entretenus, les cheveux crépus ont été la première chose qui fut retirée aux Africain.e.s esclavagisé.e.s dès leur arrivée dans les Amériques. Le rasage systématique des cheveux était vécu comme le premier traumatisme d’une série de traitements cruels et dégradants visant à enlever à ces Africains.e.s, capturé.e.s et réduit.e.s au rang d’esclaves, leurs personnalités, leurs identités et leurs anciennes vies. Pour ainsi couper tout lien avec ce qu’iels avaient été et les préparer à ce qu’iels étaient désormais.
Après la libération des esclaves devenu.e.s hommes et femmes libres, ces dernières principalement ont recommencé à se réapproprier ce patrimoine capillaire qui leur avait été arraché dans les plantations. Les coiffures extraordinaires qu’elles créaient attiraient un peu trop l’attention, de telle manière que des lois, à l’instar de la Loi Tignon de 1785, ont été acceptées dans le sud des États-Unis pour forcer les femmes noires à couvrir leurs cheveux et ainsi nier, une fois de plus, leur identité et leur héritage. Aux Antilles, les lois somptuaires interdisaient aux femmes de couleur de porter un chapeau. Cela les a poussées à réaliser des coiffes en madras de formes variées et porteuses de messages[i]. Cette façon de procéder a été imposée dans de nombreux pays africains pendant la colonisation, ce qui a abouti à la création et au port de magnifiques et très élaborés foulards.
Cette loi a fait le lit du racisme capillaire envers les cheveux crépus et frisés, de la discrimination envers les personnes portant ce type de cheveux et la labellisation du cheveu crépu et frisé, comme étant un cheveu sale, un cheveu de sauvages, de pauvres qui devait être lissé (via les peignes chauffants ou le défrisage) pour les noir.e.s qui aspiraient à être considéré.e.s comme « civilisé.e.s » ou à prendre l’ascenseur social.
Le retour en grâce du cheveu crépu et le Crown Act
Bien que de plus en plus décriée, cette discrimination capillaire, au détriment des personnes noires, force certain.e.s d’entre iels à utiliser des produits dangereux, cancérigènes et contenant des perturbateurs endocriniens dans le but d’avoir un cheveu plus lisse. Créant des dégâts douloureux ainsi chez les personnes noires que des problèmes de santé chroniques liés directement ou indirectement aux pratiques capillaires : allant de l’alopécie à la brûlure répétée du cuir chevelu et l’augmentation de la prédisposition au diabète, à la fibromyalgie, aux cystites et aux malformations cardiaques chez les embryons et les nouveau-nés.
Outre la prise de conscience des dangers sanitaires de ces pratiques capillaires, la société est de plus en plus sensibilisée à la question de la discrimination capillaire qui prive de nombreuses personnes noires d’accéder à l’emploi. Malgré le fait que la réglementation américaine concernant les coiffures africaines soit lacunaire, car, il y a quatre ans, un tribunal fédéral avait jugé qu’il était légal pour les employeurs de licencier des employé.e.s ou de refuser des candidat.e.s simplement parce qu’iels avaient coiffé leurs cheveux selon des techniques couramment utilisées par les Africain.e.s et les Africain.e.s américain.e.s[ii], les mentalités et les lois changent petit à petit, peut-être un peu trop lentement, mais sûrement.
Le Crown Act ou Create a Respectful and Open World for Natural Hair Act est né sous la forme d’un projet de loi suite à des incidents au cours desquels, par exemple, des enfants ont fait l’objet de mesures disciplinaires dans des écoles ou encore lorsque des employé.e.s ont été licencié.e.s après avoir porté des afros, des dreadlocks ou des tresses. Il a été initié par la sénatrice californienne Holly Mitchell et est devenu une loi en 2019[iii]. Cette loi est aujourd’hui en vigueur dans plus d’un tiers des états fédérés américains.
En Europe, bien qu’il n’y ait jamais eu de traces législatives actant la discrimination capillaire des cheveux crépus et frisés, ce phénomène est bien présent au sein de la société et le travail visant à faire reculer cette discrimination, bien que plus subtil et plus diffus, commence à porter ses fruits, surtout auprès des jeunes générations.
En Afrique où des coiffures africaines comme les dreadlocks sont très mal vues dans l’espace public de nombreux pays, les mentalités changent aussi.
[i] Le cheveu crépu au fil du temps : sublimation, rejet et réhabilitation, Chef d’œuvre CAP coiffure 2019/2021, Lycée professionnel Raymond Néris, Le Marin, Martinique, p.9
https://site.ac-martinique.fr/lyc-raymondneris/wp-content/uploads/sites/40/2021/06/le-projet-en-image.pdf
[ii] Céline Peschard, Pour lutter contre la discrimination envers les cheveux afro, des États américains s’engagent, Au Féminin, 02/07/2020 https://www.aufeminin.com/news-societe/the-crown-act-vers-la-fin-du-racisme-capillaire-s4014184.html
[iii] Ibid