Le cheveu crépu et les coiffures qui en résultent sont profondément ancrés dans la vie quotidienne des Africains.e.s du continent et des diasporas. Le cheveu crépu est un cheveu fragile de par sa nature (plus sujet à la sécheresse et à la casse que les autres types de cheveux), il nécessite des soins constants. Une belle chevelure étant synonyme de bonne santé, de propreté et de bonne maintenance, les coiffures très élaborées qui en résultaient étaient fortement codifiées au sein des sociétés africaines avant les traites arabo-musulmanes et transatlantique, puis la colonisation.
Le cheveu crépu et ses coiffures revêtaient plusieurs aspects tant dans les sociétés traditionnelles africaines que dans les diasporas afrodescendantes.
L’aspect esthétique et hygiénique du cheveu crépu
Selon Sylvia Ardyn Boone, anthropologue spécialisée dans la culture des Mendé de Sierra Leone, les communautés d’Afrique de l’Ouest admiraient une belle tête de cheveux longs et épais sur une femme. Les longs cheveux épais chez une femme démontraient la force de vie, le pouvoir multiplicateur de la profusion, la prospérité, une sorte de « pouce vert » montrant la fertilité des femmes. Les cheveux devaient aussi être soignés, propres et disposés dans un certain style, ainsi qu’ornementés de perles et de coquillages de cauris. Les pharaons, les scribes et les femmes égyptiennes arboraient une chevelure coiffée en tresses, le plus souvent parée de fils d’or et d’autres raffinements. De même, les Nubiens adoptaient aussi une chevelure coiffée, mais en fines dreadlocks. Les Karamo du Nigeria ont été reconnus pour leur coiffure unique : une tête rasée avec une seule touffe de cheveux gauche sur le dessus[i].
Certaines coiffures imprégnées de mélanges de poudres, d’écorces, d’épices permettaient de protéger la tête des parasites tels que les mouches, les poux, etc. Elles représentaient également une protection du cuir chevelu contre les éléments : les rayons ardents du soleil ou encore contre le souffle asséchant du vent.
Aujourd’hui encore, les coiffures traditionnelles africaines sont utilisées pour passer des messages de prévention. Au Kenya par exemple, pendant la pandémie de la Covid-19, les petites filles affichent des coiffures pour sensibiliser les gens à se désinfecter les mains et à porter des masques. Cette coiffure ancienne habituellement portée par les petites et jeunes filles africaines a été renommée coiffure « Coronavirus » pour l’occasion.
L’aspect spirituel/religieux du cheveu crépu
Pour de nombreux peuples africains, le cheveu joue un rôle spirituel essentiel, étant la partie la plus élevée du corps et donc plus proche du cosmos, de la divinité. Mohamed Mbodj, professeur agrégé d’histoire à l’Université de Columbia et originaire de Dakar, au Sénégal, disait à cet effet que : « Le cheveu représentait le point le plus élevé du corps, de ce fait plus proche du divin »[ii]. C’est pour cette raison que la manipulation du cheveu n’était pas confiée à n’importe qui, mais uniquement à une personne proche de confiance. Puisque pour les Anciens, l’on est capable d’affaiblir, de détourner, de voler l’énergie vitale et même la destinée d’un individu via son cheveu.
De plus, lors de cérémonies ou de rituels, les participants devaient se coiffer d’une certaine manière afin de rentrer plus facilement et plus efficacement en communion et en connexion entre eux, puis avec la divinité qui était invoquée lors de cette opération religieuse ou spirituelle. Au sein de certaines tribus, couper les cheveux d’une personne était un mal innommable, un dommage irréparable faite à cette personne à la fois physiquement, émotionnellement et spirituellement. Chez d’autres, lors de funérailles, les proches du décédé se rasaient complètement la tête pour exprimer leur douleur face à la perte d’un être cher, mais aussi pour montrer qu’une nouvelle vie différente de celle d’avant le départ du défunt commence pour les proches qui sont restés.
L’aspect social des coiffures africaines
Les états et les formes du cheveu crépu qui étaient un indicateur de la situation sociale ou encore de la situation maritale, sont devenus à travers les âges et les conjonctures politiques, un symbole fort de revendication, de lutte et de libération.
À travers les designs capillaires, on pourrait reconnaître une femme nouvellement mariée ou encore célibataire. De plus, l’art de la coiffure était aussi un moyen d’expression comme l’amour ou tout simplement le deuil. Dans la culture des Wolofs du Sénégal, les jeunes filles nouvellement mariées se rasaient partiellement les cheveux pour montrer que les hommes ne devaient plus leur faire la cour. En fonction de l’ampleur, de la forme et de la complexité des coiffures portées, on pouvait connaître la famille, la tribu ou encore le rang social auxquels appartenait un individu dans les sociétés africaines.
Le rasage systématique des cheveux aussi bien chez les hommes que chez les femmes mis en esclavage, ajouté à l’attribution d’un nom chrétien après leur arrivée dans les Amériques et en Europe, était aussi une manière de les empêcher de se reconnaître, de se rassembler, de s’organiser en maintenant et reproduisant les structures sociales et ainsi, de garder les langues venues de l’Afrique.
La place du cheveu crépu et des coiffures africaines dans les mouvements de libération et d’émancipation des noirs
Dans l’histoire récente, bien avant que l’afro ne devienne le symbole politique des mouvements du Black is beautiful et des droits civiques aux États-Unis dans les années 60, le cheveu crépu était déjà le terrain d’expression de rébellion, de revendication, de lutte et d’aspiration à la liberté des peuples africains.
Lors de la seconde invasion italienne de l’Éthiopie menée par Mussolini, contre le Négus Haïlé Sélassié 1er qui avait eu lieu entre le 3 octobre 1935 et le 9 mai 1936, provoquant l’exil de l’Empereur et l’occupation du pays, des milliers d’Éthiopiens avaient rejoint la résistance et avaient fait le serment de ne se couper ni les cheveux ni la barbe tant que l’Empereur ne serait pas revenu à Addis Abeba. Leurs cheveux en poussant librement, sont devenus des dreadlocks. Au retour du Négus Negusta à Addis Abeba le 5 mai 1941, suite à la défaite de l’Italie, ces résistants aux longues dreadlocks auraient inspiré la naissance du mouvement rastafari conceptualisé par l’Empereur lui-même.
Par ailleurs, sensiblement pendant la même période au Kenya, c’étaient les guerriers Mau Mau qui entraient en rébellion contre la colonisation britannique, lors de la célèbre Révolte des Mau Mau. Ces guerriers qui donnaient du fil à retordre à l’administration coloniale britannique se laissaient pousser les cheveux en dreadlocks comme symbole de leur cause.
Cela pourrait expliquer pourquoi dans l’inconscient de nombreuses personnes, les coiffures comme l’afro aussi bien que les dreadlocks sont vues comme menaçantes, antisociales ou bien politiquement chargées. Par conséquent, elles sont encore mal acceptées dans l’espace public, à l’école et dans le monde du travail aujourd’hui en 2022.
Le cheveu pour les Africain.e.s et les diasporas afrodescendantes, fait partie de la culture, c’est un héritage, le moyen de connecter à soi-même, à la nature et au divin. C’est enfin un réceptacle et un vecteur de puissance. It’s just hair comme le disent certaines personnes ignorantes de la place que le cheveu occupe dans la culture et l’histoire des peuples africains et afrodescendants. Ce n’est pas que du cheveu. C’est un pan important de l’histoire des noirs à travers les âges.
[i]Nappy and Proud, Les coiffures africaines : symboles politique, social et identitaire, 14 mai 2020.
[ii]Ibidem.