C’est en 2016 que l’artiste italienne Ludovica Bastianini lance son projet « In your place ». Ayant pour thème le mariage précoce et les violences génitales féminines, le projet donne lieu à une prise de conscience sur ces violences qui sévissent dans le monde et qui touchent beaucoup de jeunes filles.
« Il faut le voir pour le croire », voilà comment peut-on résumer le travail de Ludovica Bastianini. Cette diplômée en histoire de l’art nous livre des œuvres qui ont pour mission de dépeindre une réalité parfois abstraite que vit des enfants dans le monde.
« 1st chapter – Child Brides », lever le voile sur les mariages précoces
C’est à partir d’un constat saisissant que l’artiste pose les premiers jalons de ce qui allait devenir sa série photographique. Elle découvre que selon le Fonds des Nations unies pour la population, plus de treize millions de filles de moins de dix-huit ans sont mariées de force chaque année. Ce chiffre en tête, Ludovica Bastianini ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette réalité qui lui paraît totalement invraisemblable. Et une question attire plus particulièrement son attention : quel sentiment une mère peut-elle ressentir en habillant sa jeune fille le jour de la cérémonie ?
Animée par toutes ces interrogations, elle commence alors à recueillir des photos de mannequins enfants figurant dans les pages de magazines de mode. Par la suite, elle y appose des morceaux de dentelle parfois usés, provenant des affaires de sa mère, ainsi que de la peinture blanche. Elle crée de cette manière, des voiles et des robes, transformant les mannequins en jeunes mariées. Le résultat est consternant. À l’ajout de ces morceaux de dentelle, le regard porté sur ces jeunes modèles photo change. Les expressions neutres deviennent des regards vitreux, qui renvoient à de la tristesse et à de la désolation. Elle montre l’innocence volée de ces enfants devenues des femmes trop tôt. Une dissonance se produit entre ces clichés de petites filles qui vivent des scènes de la vie quotidienne et la dentelle qui donne un aspect plus dramatique à ces scènes.
Avec son travail, l’artiste italienne souhaite rendre compte d’une réalité qui semble lointaine pour elle ainsi que pour d’autres. Elle mise pour cela sur le processus d’identification « entre modèles et petites mariées, entre moi et leurs mères » pour ainsi « transférer l’idée d’une enfance niée, forcée, violée sur la publicité que l’on voit au quotidien, qui fait référence à un tout autre monde », déclare-t-elle sur sa page Tumblr.
« 2nd Chapter – Infibulation », un deuxième volet pour aborder les mutilations génitales
Un an plus tard, elle sort la suite de son projet. Cette deuxième partie du projet aborde cette fois-ci le thème de l’excision. Comme pour la précédente série photographique, la démarche est la même. Ludovica Bastianini aspire à témoigner d’une vérité qui lui paraît si éloignée. Toujours accompagnée de sa vieille dentelle, elle s’outille pour ce projet, de fil à coudre et de tissus tirés d’une collection appartenant à sa mère et à sa grand-mère. Elle étoffe également sa palette de couleurs en utilisant du rouge en plus du blanc, beige et rose utilisés dans le projet numéro un. Un choix loin d’être hasardeux.
Pour représenter l’excision, Ludovica Bastianini choisit de réaliser des hachures au fil à coudre. Des hachures que l’on retrouve sur le visage, les jambes, les bras ou sur la totalité du corps. Ces lignes qui traversent ces corps et visages incarnent les mutilations génitales que subissent les petites filles au sein de communautés disséminées dans le monde. Avec ces lignes rouges, les modèles sont comme pris dans un étau dont elles sont incapables d’en sortir. Elles sont comme dépossédées de leur corps. Le choix du fil à coudre n’est pas anodin. Outre la mention de l’intervention chirurgicale en elle-même, l’utilisation d’outils de couture rappelle que l’intervention est souvent pratiquée à l’aide d’outils du quotidien, des outils tranchants inadaptés comme ce qu’on peut utiliser en couture. De plus, un parallèle peut être fait entre la couture, la féminité et l’excision. En effet, la couture est une activité, d’un point de vue culturel, encore largement associée aux femmes. En la joignant au sujet des mutilations génitales, Ludovica Bastianini juxtapose deux attributs assimilés à la féminité. Un projet une nouvelle fois percutant et poignant qui met en lumière une violence que subissent de nombreuses filles dans le monde encore aujourd’hui. Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) estime qu’aujourd’hui deux cents millions de femmes et de filles vivantes ont été victimes de cette intervention.
Crédits photos :
Provenant du Tumblr de Ludovica Bastianini
- « 1st chapter – Child Brides » : https://ludovicabastianini.tumblr.com//iypinfibulation
- « 2nd Chapter – Infibulation » : https://ludovicabastianini.tumblr.com//iypinfibulation