
Si l’année 2022 représentait pour beaucoup d’acteurs du domaine évènementiel un certain retour à la normale après deux longues années d’interruptions dues à la pandémie de la Covid-19, pour d’autres, elle s’est avérée tristement exceptionnelle. En effet, malgré quinze étés à célébrer les couleurs de la communauté LGBQTIA2S+, les Montréalais n’ont, cette année, pas pu profiter de leur défilé habituel, au demeurant très important.
C’est un samedi d’août comme les autres, dans la plus grande ville du Québec. Le soleil alourdit l’atmosphère de la métropole depuis quelques jours déjà, mais pas le cœur de ceux qui, comme chaque année, profitent de l’été pour célébrer leurs couleurs. Dans les chaumières, chacun se prépare, se pare de ses plus belles tenues ou de ses vêtements les plus colorés, déjà grisé.e.s à l’idée de défiler. De profiter d’une après-midi entière où les différences disparaissent. Cette journée durant laquelle, malgré la société parfois trop exiguë dans laquelle nous vivons, elles sont célébrées. Et puis, la nouvelle tombe. Pour certains, un simple haussement d’épaules. Pour d’autres, une véritable déception. Accablante. Le défilé de la Fierté est annulé. Depuis 2007, les membres de la communauté LGBTQIA2S+ de Montréal et de ses alentours peuvent marcher dans les rues de leur ville, ou simplement apprécier le spectacle, pour marquer leur différence et, parfois, crier au monde qui ils sont réellement.
Cette année, malheureusement, ils ne pourront pas le faire. Très vite, les réseaux sociaux s’enflamment, évidemment. Les messages s’échangent, les commentaires sont pianotés rapidement plus que de raison, la colère gronde, les nouvelles fusent. Le défilé est annulé. Pourtant maintenu en 2021, dans une période de recrudescence de cas de Covid-19 et de situation sanitaire délicate, il est délibérément annulé en 2022. Désormais que les mesures liées à la pandémie sont assouplies, le défilé, lui, n’aura pas lieu. Manque de bénévoles, problème d’organisation, s’excusera le festival Fierté Montréal dans un communiqué. Certains, néanmoins, songeront que la raison est peut-être plus complexe que cela et qu’il en va peut-être de la sécurité de plus d’un. Quoi qu’il en soit, la résilience semble de mise et il est toujours possible de participer à la cérémonie de clôture du festival, sur l’esplanade du Parc Olympique de la ville.
Au centre-ville, cependant, l’atmosphère est tout autre. À l’entrée du village Gay, sur la rue Sainte-Catherine et même, un peu plus tard, sur le boulevard René-Lévesque, plusieurs n’ont pas choisi de céder aux instructions de Fierté Montréal. Des groupes se forment. Discrets, d’abord, avant de prendre progressivement de l’ampleur. Les premières minutes se déroulent dans la colère, la protestation. Certains ont sans doute troqués leurs pancartes promouvant l’amour pour des messages plus militants. Les forces de l’ordre, entre autres, sont insultées dans leurs écrits. Mais bientôt, les cris de guerre et les poings levés s’amenuisent. Des musiques s’élèvent, les épaules se détendent, les mâchoires serrées de frustration laissent place à des sourires. Précédemment protestataires, certains groupes se laissent aller à la célébration, à la danse, peu soucieux des policiers à vélo ou à moto qui les suivent en silence. Une fourgonnette se joint d’ailleurs au cortège, avant de le mener complètement, les enceintes, volume à fond, diffusant des chansons joyeuses.
En quelques minutes, on croirait assister, à petite échelle, à l’histoire-même du défilé de la Fierté. Avant tout un mouvement de protestation, une manifestation de colère contre les forces de l’ordre, contre des lois interdisant l’existence ou restreignant les libertés des membres de la communauté LGBTQIA2S+. Des émeutes de Stonewall en 1969 aux premières marches de la Fierté en 1971, tenues simultanément à Montréal, Ottawa et Toronto, jusqu’au retour de ces célébrations à Bangkok, il y a quelques mois. La Fierté, comme beaucoup le répètent, est avant tout une protestation, une manière de signifier avec aplomb que les personnes issues de la communauté existent bel et bien et qu’elles méritent des droits.
Au fil du temps, cependant, les marches ou défilés ont pris une signification différente. Au-delà d’un mouvement contestataire, elles sont devenues une véritable célébration. Un rassemblement de personnes de tous horizons afin de commémorer nos combats, passés ou actuels, mais également une mise en lumière, plus que jamais, de nos différences. Si la valeur militante de la Fierté est encore réelle et nécessaire, le défilé est, aujourd’hui, également une fête. Une fête quant aux droits que nous avons acquis au fil des années. Une fête quant à la grande diversité de genres et de sexualités qui constitue la communauté LGBTQIA2S+. C’est sans doute cet état d’esprit qui a fini par rejoindre les protestataires montréalais, en ce dimanche trop chaud d’août 2022.
Si l’on devait définir la Fierté aujourd’hui, nous pourrions d’ailleurs reprendre les mots de la série Sense 8, écrite par les sœurs Wachowsky, réalisatrices et productrices trans :
« Pendant longtemps, j’avais peur d’être qui je suis car mes parents m’avaient enseigné qu’il y avait quelque chose d’anormal avec les personnes comme moi. J’avais peur de la parade de la Fierté parce que je voulais cruellement en faire partie. Aujourd’hui, je marche donc pour cette part de moi qui avait trop peur pour marcher et défiler. Et pour tous ceux qui ne peuvent pas marcher. Ceux qui ont des vies semblables à celle que j’avais. Aujourd’hui, je marche pour me rappeler que je ne suis pas seulement un Moi. Je suis aussi un Nous. Et nous marchons avec fierté. »
De nos jours, la Fierté est également une fête individuelle, pour se rappeler, à nous-mêmes, que nous méritons, comme tout autre être humain, respect, liberté et amour. Et, plus que tout, qu’il faut être fier de qui nous sommes, qu’importe notre genre ou notre orientation sexuelle. Qu’elles soient bruyamment contestataires à grande échelle ou de plus discrètes affirmations individuelles, les marches de la Fierté sont, et seront, toujours nécessaires.