Raconter son histoire pour témoigner de réalités cachées et donner de l’espoir… C’est le message d’Esmeralda Ortiz, autrice brésilienne présentée dans le cadre du projet « Entre les lignes ».
Peux-tu me donner une phrase pour te présenter ?
Je m’appelle Esmeralda Ortiz. Je suis une femme noire brésilienne et journaliste. Je fais de la samba et je suis chanteuse. Je souhaite montrer que malgré notre histoire, nous pouvons vaincre les obstacles de la vie.
Comment as-tu commencé à écrire ?
À l’âge de 14 ans, j’ai été dans une institution pour les mineur.e.s réfractaires puis en prison. J’ai fait plus de 50 passages en prison. J’aimais beaucoup la samba et là-bas, on n’a pas le droit d’utiliser un stylo donc j’écrivais avec des crayons dans l’obscurité. Je composais de la samba et chantais beaucoup. C’était une forme de sentiment de liberté dans la prison. C’est là que j’ai commencé à écrire et composer. Aujourd’hui, je suis poète.
Qu’est-ce qui guide ton écriture (qu’est-ce qui t’inspire) ?
Parler de la culture noire et de la négritude, c’était la thématique principale. Je parle presque toujours à la première personne. J’écris aussi maintenant de la littérature pour les enfants, toujours sur l’univers de la négritude. Avant, les maisons d’édition ne s’intéressaient qu’à mon histoire : ma vie dans la rue, les obstacles rencontrés et mes dépendances. On ne parlait pas de mes compositions. Aujourd’hui, on parle de favelas, dans un sens positif parce que la signification n’est plus la même ; il y a déjà eu un travail là-dessus. Avant, c’était considéré comme de la littérature négative. Ce n’était pas mis en avant du tout et c’était basé sur des préjugés.
Pourquoi le choix de ce thème ?
Parce que la thématique de la négritude jusqu’à présent a été racontée par les vainqueurs : les blancs occidentaux. J’ai grandi sans vraiment savoir mon histoire parce que tout ce que j’ai entendu pendant ma vie a été raconté par les blancs. Je veux donner une autre perspective, surtout pour les enfants, les mien.ne.s et les enfants noir.e.s, en général.
Quelles ont été les étapes fondamentales de ton parcours ?
La musique, d’abord. J’ai senti que Dieu s’était manifesté un soir à travers la musique. J’avais neuf ans seulement et j’étais déjà dans la rue à utiliser des drogues. Quelqu’un m’a invitée à changer de vie, a mis dans mes mains des instruments musicaux et à partir de là, j’ai eu l’opportunité de sortir de la rue. À la place des drogues, je me suis mise à chanter, jouer de la musique et composer des chansons. Je considère que la musique a été plantée dans le désert.
Je suis passée par des viols et violences, de façon générale ; j’ai passé douze ans dans la rue et je suis allée en prison. J’ai composé une chanson qui a été beaucoup chantée, elle a été reconnue. C’était nécessaire d’enregistrer ces chansons-là et c’est là qu’a commencé l’écriture, la littérature. J’ai publié un livre qui a été traduit en français et a été distribué dans d’autres pays.
Pourquoi vivais-tu dans la rue et qu’est-ce qui t’a amenée à avoir cette vie ?
Petite, ma mère me battait. Je me suis enfuie dans la rue et à partir de là, j’ai commencé à y rester. La police prenait tous.tes ceux.celles de la rue. Dans les années 80-90, il y avait la dictature et il n’y avait pas d’investissements pour l’éducation. On m’a envoyée dans une institution mais c’était en fait une prison pour les mineur.e.s. Il y avait des femmes avec leurs bébés et des enfants. C’était présenté comme un établissement éducatif mais il y avait de la maltraitance. C’était ma première fois en prison.
Ensuite, j’ai essayé de fumer de la marijuana. J’étais adolescente. J’ai aussi volé pour manger. J’ai volé pour utiliser de la drogue et pris de la drogue pour ne pas souffrir, ne pas voir la dure réalité, ne pas sentir le froid, la faim… J’ai volé des montres et portefeuilles pendant que le gouvernement volait mes droits et mon enfance.
Comment sont écrits ces livres ? Est-ce qu’ils sont tous autobiographiques ?
C’est varié mais toujours dans l’univers de la négritude. Le livre pour les jeunes a été inspiré par mes ami.e.s africain.e.s qui racontaient des histoires sur la culture de l’Afrique. Je racontais ces histoires à mon fils. J’ai commencé à créer des histoires pour le faire dormir et je les enregistrais. C’était des histoires pour qu’il se connaisse, se valorise, s’aime ; des histoires sur l’amour propre et pour qu’il aime sa culture.
Un autre livre est autobiographique. Il a été écrit avec une personne de l’université, sur le CRAC. C’était en milieu académique.
Tu es déjà reconnue ?
Je suis respectée comme écrivaine et on me prend en exemple par rapport à mon histoire, surtout pour les jeunes. Par contre, je suis journaliste formée mais à cause de mon passé, je reçois seulement des sollicitations pour des entrevues ponctuelles mais pas pour des emplois stables. À mon avis, si j’étais blonde avec les yeux verts, etc. ça serait différent. Cet exemple est vrai. Une jeune fille blonde qui a vécu une vie similaire est très plébiscitée par les médias.
Le Brésil est raciste mais je ne vais pas me désister. Ma voix ne va pas se taire. Mon stylo ne va pas s’arrêter.
Quels sont les messages que tu veux faire passer ?
Je veux surtout faire passer un message d’espoir dans ce monde complètement fou. Devant toutes les difficultés, les obstacles que j’ai vécus, je suis encore vivante, je crie, je fais de l’art et de la thérapie. Je veux montrer que c’est possible. C’est possible de transformer la vie, de changer et de contourner les choses.
Glória : Pourquoi traduire ton livre dans d’autres langues ?
Le livre est biographique. Ça date des années 2000, ça fait déjà plus de 20 ans mais c’est toujours actuel. J’ai été une petite qui est entrée et est sortie de la cracolândia : « le monde du crac », la « Disneyland des drogues, le « paradis » des drogues ». Je ne suis pas morte, je suis encore vivante et j’ai une voix active. Il existe des voix qui ne sont pas écoutées et reconnues. Il y a des personnes qui utilisent de la drogue, qui sont au chômage, des familles complètement détruites à cause de ces substances et des violences. Je n’ai pas exposé ma vie pour devenir un reality show mais pour dénoncer ce qui existe vraiment. On ne doit pas se taire, jamais.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Pour commencer, je souhaite changer de maison, améliorer ma maison.
Plus sérieusement, je souhaite un pays, un monde plus juste pour tout le monde. Ma vie n’a pas été exposée par hasard mais pour demander plus d’opportunités pour tout le monde.
Où peut-on découvrir ce que tu fais ?
Instagram : esmeralda.ortiz.escritora
Facebook : Esmeralda Do Carmo Ortiz
YouTube : Esmeralda Ortiz
Entretien mené par Inès Naili par l’intermédiaire de Glória Terra, traductrice et professeure de français au Brésil.