Comment se fait-il que des milliards d’humains réussissent à coexister au quotidien? Bien que cette question comporte plusieurs volets, la société doit incontestablement une bonne partie sa cohésion à des institutions régissant la dynamique sociale par le biais de normes et de règles. Quand on recense ces dernières, on retrouve l’institution scolaire qui est particulière marquante par la grande portée de son influence sur des enfants aux croyances encore très malléables. Pourtant, même si l’école peut être adulée pour sa capacité à outiller et unir les gens à travers l’éducation, elle n’est pas à l’abri de la critique. De fait, étant au cœur de la société, elle est aussi traversée par ses maux. On y dénote notamment quelque chose de particulièrement décrié ces jours-ci : la perpétuation des inégalités sociales.
Si deux enfants provenant de milieux sociaux différents vont à la même école, il ne sera pas très surprenant de voir celui issu d’une classe sociale supérieure mieux réussir. Comment peut-on, cependant, expliquer ce résultat? Pour faire une suite simple, nous pouvons, tout d’abord, considérer ce qu’offre le milieu d’appartenance de chaque enfant. D’un côté, un enfant aisé et favorisé par l’école est, en règle générale, doté d’un bagage intellectuel, social et culturel riche et valorisé par l’institution scolaire. Le cas faisant, cet élève arrive dans son lieu d’apprentissage en ayant été socialisé en concordance avec le système scolaire. Cela lui donne ainsi une longueur d’avance dans son apprentissage en plus d’attirer le biais positif de ses instructeurs. D’un autre côté, un enfant n’ayant pas cette chance se voit déjà désavantagé dans son adhérence au système.
S’ensuivent ensuite des séries de micro-punitions que des sociologues comme Pierre Bourdieu regroupent sous l’appellation violence symbolique. Ces dernières, visant à rabattre toute manière d’agir de penser ou de ressentir qui n’est pas considérée légitime, creusent un fossé entre les mieux nantis et les moins bien nantis. À l’école, elles se traduisent par des examens attribuant des notes ou des jugements qui ne font que réaffirmer une hiérarchie déjà présente à la naissance. Par exemple, un enfant auquel les bonnes manières n’auraient pas été enseignées ou n’ayant aucune connaissance dans un certain domaine contrairement à un de ses camarades se voit presque automatique être la cible de réprimandes, de préjugés négatifs ou de punitions sous formes de résultats scolaires médiocres. Combinée à la valeur incommensurable attribuée au mérite dans notre société, cette réalité est encore plus nuisible.
Comme la majorité des enfants se le font dire au début de leur parcours scolaire, quand ils obtiennent un bon résultat, ils le méritent parce qu’ils ont nécessairement travaillé fort pour l’obtenir. Or, ce concept de mérite est, toutefois, un peu flou puisque notre performance académique est grandement influencée par notre milieu d’origine et parler du fait que l’on mériterait notre résultat académique manque de nuances. En effet, on ne tient pas du tout compte des avantages socio-économiques qui ont joué dans les déterminismes de chaque individu et qui ont mené à ce résultat. Les élèves ont beau se faire servir des évaluations identiques, ils ne sont pas sur le même pied d’égalité. Cependant, l’idée de mérite étant largement acceptée, les individus provenant de classes inférieures en viennent à accepter leurs multiples défaites face à leur pairs plus aisés et à intérioriser leur place dans la hiérarchie sociale, aidant ainsi à perpétuer des inégalités sociales. Cette intériorisation est d’autant plus favorisée lorsqu’ils subissent de la violence symbolique leur rappelant quotidiennement le statut qu’ils mériteraient supposément.
Face à un tel cercle vicieux, comment les classes sociales inférieures peuvent-elles espérer s’en sortir? Chose certaine, cette injustice institutionalisée est présente depuis très longtemps dans notre société et une réponse parfaite n’a malheureusement pas encore été trouvée. Or, en être conscient est déjà un bon départ. Il est possible de changer des conceptions et des jugements erronés seulement quand nous les connaissons. Dans un contexte scolaire, il faut d’abord s’attaquer à l’inégalité retrouvée dans les avantages intellectuels ; ce qui peut, par exemple, être partiellement étanché par la promotion de ressources éducatives accessibles à tous. Cependant, dans un sens plus large, il en revient à remettre en question ce que l’école valorise. Aduler un mode de vie élitiste ne sera jamais une manière d’empêcher la reproduction des inégalités sociales ; cela, nous pouvons en être sûrs.