Katia est brésilienne et Thomas, suisse. Deux nationalités, deux regards différents, mais un objectif commun. Après dix-huit ans passés à vivre et à voyager dans divers pays, ils se sont installés au Brésil et ont créé un projet qui se décline autour de modèles écologiques, sociaux et culturels : la Casa do Mundo.
R Magazine : Vous pouvez nous parler un peu de l’endroit où vous vivez ?
Katia : Nous vivons en plein milieu de la nature, assez tropicale et très belle, pleine de plantes et d’arbres à fruits. Le terrain se trouve à cinq kilomètres de Pará de Minas, dans l’état du Minas Gerais au Brésil, qui est une ville d’à peu près quatre-vingt-dix mille habitants. J’ai vécu ici jusqu’à mes dix-sept ans. J’habitais dans la ville, mais cette ferme est l’endroit où j’allais presque quotidiennement. Donc j’ai passé beaucoup de temps ici.
R Magazine : Et à partir de vos dix-sept ans ?
Katia : Je suis allée au Canada dans le cadre d’un programme d’échange au lycée. À partir de ce moment-là jusqu’à l’âge de quarante ans, j’ai vécu à différents endroits à l’étranger, notamment en France, près de la frontière suisse. Mais, c’est ici que j’ai grandi, c’est ma référence de « maison ». J’ai une forte connexion avec cet endroit et sa nature.
R Magazine : Pourquoi avez-vous décidé de revenir au lieu de rester en Europe ?
Katia : Retourner au Brésil était un grand pas issu du besoin de donner un sens à notre vie. Nous avons déjà travaillé dans de grandes compagnies, à des postes très formels, et nous nous sommes sentis prêts et assez confortables pour dire : « maintenant, nous allons faire quelque chose qui a du sens pour nous ». C’est ainsi que le projet de Casa do Mundo est né. Depuis que nous nous sommes installés ici, nous investissons notre temps dans des actions qui ont de la valeur.
R Magazine : Quel est l’objectif du projet Casa do Mundo ?
Katia : Le projet est fondé sur trois piliers qui vont main dans la main avec cet endroit si exceptionnel. Le premier est l’écologie qui me tient particulièrement à cœur : réduire notre consommation, éviter au maximum la pollution de la nature, réutiliser de l’eau en faisant un circuit fermé, pour que pas même une goutte ne soit gaspillée… La manière dont nous vivons devient le modèle à montrer aux gens. Tout le monde est bienvenu chez nous et nous sommes ravis d’expliquer comment ça marche : la toilette sèche, le recyclage, le compostage, le bac d’évapotranspiration, etc. Nous voulons faire connaître aux autres toutes ces possibilités et alternatives. Par ailleurs, nous sommes en train de transformer notre ferme et les terres environnantes en réserve écologique, de sorte que la forêt ne puisse pas être coupée et tournée en pâtures ou zones industrielles, comme tant d’autres au Brésil.
Le deuxième pilier est le travail social. Il existe un énorme fossé dans la société brésilienne et Pará de Minas ne fait pas exception : un petit groupe gagne vraiment beaucoup d’argent, suivi par une couche sociale moyenne, puis un grand nombre de gens pauvres. Un endroit comme le nôtre peut enseigner beaucoup à ceux qui n’ont pas l’opportunité de fréquenter de bonnes écoles : science, géographie, économie de la vie et de la production propre, etc. Nous utilisons cet espace pour supporter les gens, pour leur offrir l’occasion d’apprendre soit un métier, soit une façon de vivre. Les enfants peuvent voir ici que nous ne sommes pas toujours obligés d’être intellectuels, d’aller à l’université et de gagner beaucoup d’argent pour réussir dans la vie. Nous voulons les libérer de cette façon carrée de penser. Les gens qui travaillent manuellement ne sont pas valorisés au Brésil. Ici, nous valorisons tout et essayons de briser les théories sur ce qui est considéré comme correct.
Le troisième pilier est celui de la culture. Nous essayons de donner aux artistes locaux la possibilité et l’espace nécessaire pour exprimer leur art, que ça soit la musique, les arts plastiques et les divers savoir-faire, ou bien les techniques de construction alternatives et l’enseignement du yoga.
R Magazine : Tous les projets se passent chez vous ?
Katia : Non. Certains projets se passent ici, à notre ferme, mais d’autres sont extérieurs. Mais j’essaie toujours de regarder d’abord autour de moi, dans mon voisinage. Par exemple, il y a une communauté pas loin d’ici, où vivent des familles avec beaucoup d’enfants. Il y a tellement d’enfants que, parfois, il est difficile de comprendre les relations des uns avec les autres, il y a beaucoup de jeunes mères… J’ai proposé des cours d’anglais, ce qui était en fait une manière de m’approcher et de faire savoir que je suis ici pour aider, si besoin. Rapidement, nous avons créé un lien et la communauté a commencé à me faire confiance. Après quelques semaines, ils m’ont demandé si, en dehors de l’anglais, je pouvais les aider avec d’autres matières scolaires. Je leur parle aussi de la manière dont nous vivons et les sensibilise à d’autres concepts : soin de soi-même, propreté, habitudes alimentaires, etc. Avant les leçons, par exemple, nous prenons le temps de nettoyer l’espace de cours qui est extérieur et assez sale, avant de commencer. Rien que sur ce niveau, j’ai vu un grand progrès : aujourd’hui, les enfants prennent soin eux-mêmes de leurs environs, ne jettent plus de poubelles. Ce sont des choses basiques, mais que personne ne leur a jamais enseigné. Ils assimilent très vite.
R Magazine : Pouvez-vous nous raconter quelques autres exemples des actions que vous menez ?
Katia : Une femme de vingt et un ans avec ses trois enfants a récemment rejoint cette communauté voisine. Ils sont venus sans père (pères), sans argent, avec très peu de vêtements, et les enfants avaient de la diarrhée constante. Je ne pensais pas que je trouverais ce genre de cas à Minas Gerais, mais en fait l’histoire de cette famille est assez commune. Ils se sont installés et les enfants ont rejoint mes cours. Après peu de temps, j’ai vu du progrès dans la manière dont ils s’exprimaient. J’ai aussi décidé d’aider la jeune femme. Toute sa vie, on lui a dit qu’elle n’est pas capable, qu’elle n’arrivera à rien, seule avec trois enfants. J’ai trouvé un endroit où elle puisse faire sa formation de coiffeuse, puis un salon qui la prendra comme apprentie. Les choses n’arrivent pas d’un seul coup, c’est un travail de fourmi, mais toute différence que l’on peut faire dans la vie de quelqu’un est valable.
Un autre exemple est celui du matériel qui reste souvent à la fin des projets de construction. Comme nous connaissons des gens nécessiteux qui reconstruisent leur maison suite à des inondations et des glissements de terrain, nous faisons la connexion entre les deux et aidons avec le transport.
De même, nous arrivons à connaître des nutritionnistes, psychologistes et professeurs d’anglais qui veulent donner quelques heures de leur semaine pour faire du bénévolat et nous les présentons aux personnes qui ont besoin de ces services, mais pas l’argent pour se les permettre. C’est ça notre rôle : être le pont entre les gens qui ont besoin d’aide et ceux qui veulent et peuvent aider.
R Magazine : Quelle est votre principale source de revenus ?
Katia : Nous avons plusieurs sources. Il y a quelques années, nous avons connu la kombucha, une boisson fermentée aux nombreux bienfaits, et nous avons commencé à la produire. Avec des légumes et des fruits produits à la ferme, nous la vendons au marché local organique, une fois par semaine. Ce marché est devenu un projet à part entière, auquel nous nous sommes beaucoup dévoués. Il favorise des petits producteurs qui n’utilisent pas ou peu de pesticides, les produits restent dans la région et c’est un endroit très agréable où l’idée d’entreprise locale et écologique est promue. Nous y vendons aussi les objets artisanaux en bois et la liqueur limoncello que Thomas produit. Certains évènements que nous organisons à la ferme représentent notre revenu : petits concerts, visites des écoles privées et ateliers de cuisine végétarienne, yoga, construction en bambou, etc. Par contre, nous ne faisons pas payer les écoles publiques, et dans chaque atelier nous laissons une place gratuite pour celle ou celui qui ne peut pas se le permettre.
R Magazine : Je sais que le bénévolat est une chose très présente dans votre vie ; d’ailleurs, nous nous sommes connus pendant un travail volontaire au Vietnam. Dites-nous-en plus sur vos voyages et les projets auxquels vous avez participé.
Katia : J’ai ce concept dans ma vie : « Fais quelque chose ». Ma mère a toujours participé aux projets sociaux, elle amenait des enfants des familles très pauvres pour passer des vacances avec nous, et jusqu’à aujourd’hui, elle visite des écoles et aide les enfants ainsi que leur mère en difficulté. Le bénévolat a donc fait partie de ma vie depuis toujours et Thomas m’a rejoint tout naturellement dans ces efforts. Nous avons voyagé pendant dix-huit mois en Asie du Sud-Est et le bénévolat était une excellente manière de rencontrer les locaux et une opportunité de mieux explorer des endroits, de rester plus longtemps et de découvrir la culture en profondeur. Nous avons fait plusieurs types d’activités trouvées à travers le site helpx.net : enseignement, projets écologiques et sociaux. En Inde, j’ai aidé dans un asile pour les femmes violées et rejetées par leurs familles. Au Vietnam, nous avons travaillé dans une école d’anglais dans la campagne reculée. Le bénévolat peut se passer pendant un voyage, mais aussi à la maison, que ça soit une heure de son temps par semaine ou le fait de prendre quelqu’un sous son aile. Dès que tu commences à aider, les gens dans le besoin apparaissent, tout comme ceux qui peuvent contribuer avec une compétence spécifique.
R Magazine : Quelle est la chose que vous estimez le plus chez une personne ?
Katia : J’aime travailler avec des gens joyeux, gentils et sincères, toujours prêts à participer. Mais tout le monde a ses qualités, il importe peu lesquelles.
R Magazine : Comment voyez-vous le futur ?
Katia : J’ai de la chance d’être entourée de gens au bon cœur et je suis donc très positive, je ne me laisse pas déprimer par les médias ou des propos négatifs. Je fais ma part de travail et j’ai confiance en l’avenir. « Fais quelque chose », je me le dis tous les jours et je me sens plus forte. Je sais que je fais la différence. Il est important de s’interroger sur les choses pour les changer, comme la place des femmes dans le monde et autres, mais il faut être positif et avancer.