Alex Leboeuf et la mythologie

Selon le dictionnaire Larousse, la mythologie est l’histoire fabuleuse des dieux, des demi-dieux, des héros de l’Antiquité païenne. Cette « histoire fabuleuse » est pour certaines personnes, une passion. Nous avons eu la chance d’échanger avec l’auteur d’une trilogie sur le sujet, un enseignant récemment retraité. Il a rendu très facile l’écriture de cet article, d’où le fait que je le soupçonne animé de cette passion.

 

Comment en arrive-t-on à écrire sur la mythologie?

Mon besoin d’écrire, du moins en ce qui concerne le projet de L’Antimanuel de mythologie grecque, n’est, depuis le tout début, rien d’autre que l’expression d’une authentique passion pour la Grèce. Née lors de mes études universitaires à l’occasion d’un voyage orchestré par le vénérable Georges Leroux, cette passion ne s’est jamais tarie, au contraire elle est rapidement devenue ogresse, puis océan. Ainsi, d’abord comme enseignant, j’ai donné à plusieurs de mes cours ces teintes vibrantes que permettent les mythes. On sous-estime trop souvent l’apport pédagogique du récit ainsi que la richesse de la relation qu’établit le conteur avec son auditoire. Par la suite, j’ai à mon tour répondu à l’appel du guide et me suis amusé à faire découvrir à de nombreux étudiants cette terre de légendes et de rêves. Quel plaisir que de partager ses coups de cœur et de voir les yeux des initiés s’écarquiller en découvrant tel temple, telle plage, tel massif montagneux, tel musée. Entre Athènes et les îles aux blancs villages, entre mers et montagnes sacrées, c’était à chaque fois par l’entremise des récits mythologiques que s’organisaient alors nos périples et que s’animait l’esprit de nos groupes. Enfin, en tant qu’essayiste, qu’écrivain, les récits mythologiques se sont à nouveau imposés dès lors que j’ai voulu proposer à tous ces expériences de voyage, ces jeux d’aller-retour entre le passé et le présent, entre l’ici et l’ailleurs. Dans ce sens, rien ne résume mieux ma trilogie mythologique que ce désir sincère de partager, de guider et de mettre en scène. Ainsi, en racontant encore et toujours les mythes, en revêtant une autre fois le masque du conteur, c’est sur les sentiers de la Grèce éternelle que je convie les lecteurs et lectrices assez curieux pour oser l’aventure.  

 

Quel est le profil de vos lecteurs?

Bien qu’en théorie mon projet de L’Antimanuel de mythologie grecque s’adresse essentiellement à un lectorat spécialisé (étudiant.e.s universitaires, chercheurs.ses et voyageurs.ses), en pratique la réalité ne saurait être plus différente. En effet, en optant pour une forme littéraire laissant toute sa place au récit et en proposant dans chaque livre plusieurs pistes inédites d’investigation (72 mythes sont présentés dans le 3e et dernier livre), mes essais évitent l’hermétisme d’un travail strictement scientifique et s’offrent aux esprits curieux et avides de découvertes tels de véritables terrains de jeux pour la pensée. Bien entendu, comme n’importe quel voyage digne de ce nom, les périples proposés impliquent des chemins peu fréquentés, des écueils troublants et des occasions de remise en question. J’espère ainsi rejoindre des lecteurs combatifs et prêts à remettre en doute leurs plus confortables certitudes.   

 

Donnez-vous des conférences sur le sujet? 

Disons qu’à l’exception d’évènements très spécifiques, les occasions se font rares. Cependant, puisque l’écriture implique pour moi une nécessaire communication, toute occasion de rencontre et de partage est précieuse.   

 

À quoi comparez-vous la mythologie?

Contrairement aux contes et légendes avec lesquels on les confond fréquemment, les mythes représentent des récits fondateurs. À ce titre, ils correspondent à un effort profond visant à donner à un groupe, à une nation, à une communauté donnée, une identité forte, un socle à partir duquel s’émanciper des contraintes de la stricte survie afin d’ériger une culture riche et porteuse. Pour moi, l’étude des mythes est donc avant tout l’opportunité d’un rapport philosophique et spirituel au monde, à l’univers. J’étudie le mythe comme exercice de ma quête existentielle, j’étudie le mythe pour mieux me connaître, mieux envisager mon bonheur, ma liberté, mais également pour mieux appréhender l’autre, pour mieux embrasser tout ce qui n’est pas moi. Ainsi, à mon avis, le mythe comme langage des origines chante la plus pure des ambitions humaines et invoque de la manière la plus innocente les forces qui nous englobent et nous dépassent. Pour le dire en peu de mots, l’étude du mythe est un moyen pour moi de remettre l’humain en question, de prendre par la racine la fleur éphémère et étrange que nous sommes dans cet univers potentiellement éternel et infini.

 

Est-ce que vous voyez dans nos habitudes du XXI siècle, une nouvelle mythologie se développer?

Ce qui est particulier de la mythologie grecque, c’est qu’au-delà des récits qu’elle met en scène, récits forcément pris dans le temps et l’espace, se dessine des archétypes de la psyché humaine qui transcendent l’histoire. Dans ce sens, s’il est facile de voir dans ces récits anciens de simples fragments dont l’intérêt se limite au mieux à une curiosité archéologique, il m’apparaît plutôt intéressant d’y saisir des outils de questionnement et d’analyse aussi pertinents hier qu’aujourd’hui. Pour répondre précisément à votre question, je dirais alors que sous les habits trompeurs de la prétendue nouveauté se cachent en fait des archétypes qu’il faut connaître pour apprécier. Comprenez-moi bien, je ne voudrais pas exagérer ici l’importance de ces archétypes, mais il me semble clair que malgré une polymorphie apparente, le développement des sociétés humaines tend davantage vers la répétition de modèles généraux que vers d’effectives révolutions. Ainsi, si de toute évidence nous vivons à une époque unique dans l’histoire de l’humanité, époque teintée par une accélération inouïe de nos capacités d’échange et de production, le petit humain plongé dans cet univers hautement technologisé n’est cependant pas très différent du citoyen athénien qui arpentait nerveusement l’agora préoccupé par un avenir incertain. Ce que met en lumière le mythe grec, ce qu’il éclaire au-delà des costumes, des masques et des changements de décor, c’est justement cet être fragile, plein de contradictions, emporté par mille et une pulsions, mille et un désirs, trop souvent victime de ses peurs, de ses angoisses, minuscule face à l’univers qui le dépasse, face à l’inconnu, au groupe, face à l’énigme de sa naissance et au terrifiant mystère de son inéluctable mort.            

 

Comment s’initie-t-on à la mythologie? Quels sont les ouvrages que vous suggérez à un néophyte?  

L’initiation la plus belle à toute forme de mythologie est bien entendu le voyage, l’ouverture à la culture de l’autre, la découverte de paysages inédits, la perte des repères usuels de nos quotidiens confortables. Néanmoins, à défaut de pouvoir plier bagage pour l’Inde, la Grèce, l’Égypte ou je ne sais quelle autre destination exotique, la lecture des textes anciens, gravés dans la mémoire humaine, représente un excellent moyen de plonger dans ces eaux de l’âme que l’on appelle les mythes. En ce qui concerne spécifiquement la mythologie grecque, je conseillerais d’abord la lecture des grands tragédiens (Eschyle, Sophocle et Euripide). Leurs œuvres théâtrales puissantes donnent un juste aperçu du labyrinthe à affronter et, surtout, insufflent à ces idées anciennes et trop souvent poussiéreuses l’énergie vitale nécessaire pour atteindre nos tripes, nos cœurs et nos têtes. Aussi, je m’en voudrais de ne pas fortement suggérer la rencontre d’Homère. Homère est sans conteste, l’auteur le plus important de toute la tradition gréco-romaine et son influence est telle que plusieurs y voient l’origine même de notre occidentalité. Les deux œuvres qu’on lui attribue, L’Iliade (La colère d’Achille lors de la guerre de Troie) et L’Odyssée (Le retour d’Ulysse après la prise de Troie), bien que difficiles d’accès, valent assurément le détour et récompenseront d’une culture millénaire les courageux qui sauront en braver les flots.   

 

Lorsque l’on pense à la mythologie, on associe souvent cela aux Grecs. Il en existe cependant plusieurs. D’où vient selon vous l’importance accordée à cette dernière? 

Honnêtement, bien que l’on puisse aisément vanter les mérites de la mythologie grecque et y trouver tous les ingrédients nécessaires à un grand festin intellectuel, il faut reconnaître que la place qu’elle occupe en occident est davantage liée à nos œillères occidentales qu’à une réelle spécificité dans le spectre des mythologies humaines. C’est parfois difficile à admettre, mais chaque culture vient avec ses biais cognitifs et ses limites de perspective. À cela, l’occident ne fait pas exception. Ainsi, pour paraphraser le philosophe Xénophane, bien conscient de cet inévitable repli sur soi, j’ironiserais en postulant que si les bœufs ou les grenouilles pouvaient nous parler de leurs dieux, ils peigneraient un panthéon de dieux bœufs ou raconteraient l’épopée des déesses grenouilles. Cela dit, il faut tout de même reconnaître à la mythologie grecque l’originalité de son ouverture à l’autre, de son polythéisme flexible et, jusqu’à un certain point, de son acceptation de la remise en doute. Ces caractéristiques, assez particulières dans l’univers de mythologies et de religions trop souvent dogmatiques, rapprochent les mythes grecs d’une pensée humaniste fondamentale à mon avis au développement d’une philosophie saine et créative. 

 

En conséquence, si votre curiosité a été piqué, le troisième tome de cette trilogie L’antimanuel de la mythologie grecque sera publié cet automne par la maison d’éditions L’instant même. Alors, bonne lecture!

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