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Aïcha Morin-Baldé, l’étoile montante de la scène artistique montréalaise

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Rencontre avec l’artiste émergente de la scène montréalaise, Aïcha Morin-Baldé, pour découvrir son parcours, ses réalisations et son avenir prometteur.

 

Nous avons eu le plaisir et l’honneur d’échanger quelques mots avec la réalisatrice Aïcha Morin-Baldé autour de ses premières réalisations, Nœuds et Nourrir Les Rêves.

Nœuds, projeté en février 2021 au Festival du Film Black de Toronto et Montréal, explore la relation complexe des femmes noires avec leurs cheveux naturels et les préjugés qui les entourent. Nourrir Les Rêves prend place à St-Michel-St-Léonard, un des quartiers les plus défavorisés du Canada. Paul Evra, jeune altruiste dudit quartier, se donne pour mission de combattre l’insécurité alimentaire auprès des enfants.

Rencontre avec l’artiste émergente pour découvrir son parcours, ses réalisations et son avenir prometteur.

 

Tout d’abord, peux-tu expliquer au public francophone non canadien ce que représente le Diplôme d’études collégiales (DEC) que tu as obtenu en Communication et Cinéma ?

Le secondaire au Québec est différent du reste du Canada. En effet, dans la province québécoise, il y a cinq années au secondaire. En général, on finit ce dernier vers ses dix-sept ou dix-huit ans. Si on poursuit ses études au collégial ou Cégep (acronymie de collège d’enseignement général et professionnel), on a le choix entre une technique de trois ans et un programme de deux ans qui est pré-universitaire ; ensuite, vient l’université. Pour le reste du Canada, il y a six années au secondaire et donc, une fois qu’on a fini celui-ci, on peut aller directement à l’université. Au Québec, si on ne veut pas aller au college, on doit attendre ses vingt et un ans pour s’inscrire à l’université.

Quand j’ai fini mon secondaire, je suis allée au college pour poursuivre un DEC en cinéma. Parallèlement, j’avais déjà planifié ma première session à l’université. Un mois avant que celle-ci ne commence, j’ai obtenu un stage et là, je me suis dit : « c’est maintenant ou jamais ». J’ai donc annulé ma session et effectué le stage. À la fin de mon stage j’ai été embauché ; ce qui fait que je ne suis pas retournée aux études, du moins pas encore. J’ai directement continué de travailler dans ce domaine.

Tu as pu, en quelque sorte, continuer de te former directement dans ce domaine à travers ce stage. J’ai l’impression qu’en France, le lycée reste très global. Par exemple, j’ai fait des études de Lettres et les cours étaient très théoriques. Au Québec, vous vous spécialisez directement dès le lycée ?

Je dirais que les cours restent très théoriques au lycée, honnêtement et qu’en plus, je n’ai pas tant appris. Il n’y a pas beaucoup de pratiques avec la caméra, le montage, etc. J’ai acquis de l’expérience en effectuant des recherches au travers des contrats et projets dans lesquels je pouvais m’impliquer. Finalement, il y a beaucoup de jeunes qui se retrouvent dans ce programme (DEC en communication et cinéma) car ils ne savent pas dans quel domaine s’orienter.

Et d’où te vient cette passion pour le cinéma ?

En fait, je me suis toujours sentie privilégiée, dans le sens où je ne me suis jamais posé cette question ; cela a toujours été une évidence. Depuis mon enfance, j’ai toujours souhaité être comédienne : j’ai pris des cours de théâtre, je jouais dans des pièces, j’ai également fait de la figuration dans des films. Avec l’âge, j’ai réalisé que j’avais vraiment envie d’être derrière la caméra. Et dernièrement, ça a encore un peu changé : je travaille beaucoup derrière la caméra, mais je commence aussi à être plus devant.

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© Aïcha Morin-Baldé – Behind the scenes – Nourrir Les Rêves, Mars 2021

Donc, tu as cette double casquette, à la fois derrière et devant la caméra.

Oui, définitivement ! Dans mon plan de carrière, j’aimerais bien repasser devant la caméra. Cependant, ce n’est pas encore le bon moment étant donné qu’il me reste beaucoup à apprendre et à réaliser. Toutefois, je souhaiterais animer une émission, que ce soit de culture ou de voyage. Je me vois vraiment animer !

Et comment t’organises-tu au niveau de l’écriture de tes scénarii ? Les idées te viennent-elles spontanément ou est-ce que tu as des thématiques prédéfinies que tu souhaites aborder au sein de tes courts métrages ?

C’est un peu un mélange des deux. Dès que j’ai une idée, je la note directement dans mon téléphone ou un calepin. Il y a vraiment un côté très administratif, surtout lorsqu’on doit effectuer des démarches pour obtenir des financements. Écrire un scénario, c’est différent d’écrire un script, et la tâche est plus difficile quand tu fais du documentaire. Un script, le plus souvent, est fictionnel avec un début, un dénouement et une fin. Avec lui, tu sais où tu t’en vas, tandis qu’avec le documentaire, tu peux très facilement être amené à travailler sur d’autres thématiques qui n’étaient pas prévu au programme. C’est vraiment un peu des deux. Pour Nœuds, par exemple, j’avais cette idée en tête depuis un moment, et j’ai eu l’opportunité de le faire. Je me suis, tout de suite, dit que c’était un bon sujet que je pouvais explorer en court métrage qui, généralement, dure entre quinze et vingt minutes. Je dois ajouter qu’il ne m’est jamais arrivé de chercher une idée rapidement car j’avais, au préalable, reçu un financement. Au vu et au su de là une idée pourrait me mener pour un programme de financement, j’essaye de l’exploiter à partir de ce moment-là.

Justement, quel est le processus à suivre afin d’obtenir un financement ? Ces démarches sont-elles le plus souvent chronophages ?

Effectivement, c’est très compliqué ! En ce moment, je travaille avec deux productrices ayant la charge de gérer cette partie administrative. Cela me permet de me consacrer au côté créatif et à l’écriture. Au cours de ces dernières années, il y a eu énormément de programmes de financement surtout pour les artistes noir.e.s. C’est vraiment génial ! Cela nous offre beaucoup d’opportunités. Effectuer lesdites démarches seule, sans producteur ni mentor, c’est très difficile ! Ce sont des documents qui sont générés pour être compliqués, malheureusement, et cela peut dissuader un bon nombre de gens. J’ai un peu le sentiment que c’est le système qui est fait comme ça. Les documents comptent jusqu’à 50-60 pages avec des questions très précises et compliquées. Plus le financement provient de grandes institutions, plus c’est compliqué. Et d’ailleurs, le côté financement est quelque chose de nouveau pour moi.

Quel est le temps d’attente, en général, pour l’obtention d’une réponse définitive ?

Cela peut varier : trois ou quatre mois. C’est, tout de même, assez long surtout quand on a un projet déjà en tête.

J’ai eu la chance, par ailleurs, de découvrir tes sublimes réalisations; à savoir : Nœuds et Nourrir Les Rêves. Beau travail !

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© Aïcha Morin-Baldé – Behind the Scenes – Noeuds, Octobre 2020

Oui, merci ! En effet, ce sont mes deux premières réalisations. Sur mon Vimeo, j’ai aussi réalisé une série d’entrevues intitulée Té Ki et créée en 2019. Je me promène à travers Montréal pour interviewer des jeunes artistes noir.e.s sur leur parcours créatif. J’ai entièrement produit et réalisé Té Ki. Je travaille également sur beaucoup d’autres projets mais pas à titre de réalisatrice.

As-tu comme projet ultime de travailler sur un long métrage ?

Comme objectif de carrière, définitivement ! Je me dis que pour être une « vraie » réalisatrice – et c’est très personnel – j’aimerais bien avoir, un jour, un long métrage à mon palmarès. Et justement, je suis en développement et en écriture pour un ; c’est un processus plus complexe. Par exemple, on a réalisé Nourrir Les Rêves en trois mois ; ce qui est relativement court mais réaliste pour un court métrage. Un long métrage, c’est une aventure qui m’intéresse.

Ce que j’ai remarqué en regardant aussi bien Nœuds que Nourrir Les Rêves et que j’ai trouvé fascinant, c’est la bande-son. Cette musique envoûtante et réconfortante à la fin de Nœuds m’a, tout de suite, fait penser aux douces mélodies de Franck Ocean. Idem pour Nourrir Les Rêves, la musique de fin nous transmet un sentiment d’espoir. Comment arrives-tu à adapter la bande-son à la thématique abordée ?

C’est le même compositeur qui a produit la bande-son de ces deux documentaires et, en fait, c’est mon cousin, Alexis Elina. Il a fait une formation de piano jazz et travaille aussi avec des groupes live à Montréal. Je trouve des inspirations, j’essaie de me focaliser puis je lui exprime les sentiments que j’aimerais faire ressortir. Il est extrêmement talentueux ! Ça s’est tellement bien passé avec Nœuds que pour Nourrir Les Rêves, c’était une évidence. Et je vais lui transmettre ce que tu as dit car ça va lui faire plaisir ! (rires)

Complètement ! (rires) J’ai même eu des frissons à la fin de Nœuds. As-tu reçu des rétroactions sur cet aspect musical ?

Oui, définitivement ! Surtout pour Nœuds, vers la fin, il y a beaucoup de gens qui pleurent.

C’est exactement ce sentiment que j’ai ressenti, une montée d’émotions qui rassurent et réconfortent. Mais, surtout pour revenir sur Nœuds, il est vrai que nous avons tous.tes des parcours différents dans l’acceptation de nos cheveux naturels. Cela n’a pas toujours été évident de nous assumer, tout simplement, comme nous sommes. Quand nous arrivons à nous identifier à des personnes qui nous ressemblent, nous nous sentons finalement nous-mêmes. Et cela donne aussi un message d’espoir ; nous y arrivons, enfin !

Pour revenir sur l’aspect cinématographique, je suis curieuse de savoir quels sont les trois films qui t’ont marquée et pourquoi ?

Ma première pensée, c’est Vers la tendresse d’Alice Diop, une réalisatrice française d’origine sénégalaise. C’est un excellent documentaire qui donne la parole à des jeunes hommes qui s’expriment sur leur rapport avec le sentiment amoureux. Il y a vraiment un aspect qui ouvre à la réflexion, tu écoutes et tu essaies de processer ce que tu entends. Certaines paroles de ces jeunes hommes sont, parfois, choquantes, mais, en fait, c’est une expression de leur vulnérabilité. Cela revient à l’amour de soi ; les hommes qui ne s’aiment pas eux-mêmes ont du mal à aimer une femme. C’est très beau ! Le documentaire qui est vraiment puissant dure 45 minutes. Mon deuxième choix se tourne vers The Shawshank Redemption (Les Évadés). C’est vraiment un des films qui m’a extrêmement touchée quand j’étais plus jeune. Je devais avoir quinze ou seize ans lorsque je l’ai vu. The Shawshank Redemption fait partie des films qui m’ont confirmé que je voulais vraiment travailler dans le cinéma. Et en troisième choix et pour finir, je cite Do The Right Thing de Spike Lee, un classique.

Et au niveau des films d’animation, est-ce que c’est ton univers ?

Non, vraiment pas ! C’est autre chose ; les processus sont complètement différents de ceux d’un documentaire.

Oui, c’est vrai que le documentaire est vraiment ancré dans le réel.

Exactement ! Le documentaire est un travail extrêmement humain ; on travaille avec les autres et c’est ce que j’aime.

Peux-tu nous parler, en avant-première, de tes projets ?

J’aimerais parler du documentaire sur lequel je suis en train d’écrire. Cela traite des nuances entre être noir.e et non-binaire à Montréal, celles entre être Queer and Black. Je discute un peu avec des gens de la communauté LGBTQ+. C’est un peu similaire à Nœuds ; je suis partie de mon propre parcours. Je me suis questionnée, pendant très longtemps, sur mon orientation ; je m’associais un peu avec la bisexualité, mais je ne savais pas ce que cela représentait vraiment pour moi. Même dans la bisexualité, l’aspect des genres est très présent. J’ai donc pris un très long moment avant de comprendre que j’étais pansexuelle et une fois que j’ai commencé à lire et me renseigner, je me suis dit : « Ah en fait, c’est ça que je suis ». À la découverte de cette partie de moi, j’ai réalisé qu’en étant une femme noire pansexuelle guinéo-canadienne, je fais autant partie de la communauté noire que de la communauté LGBTQ+. Cependant et naturellement, j’ai toujours été plus attirée vers la communauté noire. C’est ce que je suis en train d’explorer actuellement en faisant mes entrevues. Indépendamment de sa sexualité, chaque personne s’identifie avec des facettes différentes. J’ai réalisé que mon orientation sexuelle n’est pas une si grande partie de mon identité. Pour d’autres, ça l’est, plus même que les origines. C’est très intéressant, et j’ai des personnes qui vont me dire : « I’m Black before I’m queer » et d’autres qui diront : « Non, je suis une femme queer avant d’être noire ». C’est passionnant de voir comment chaque personne se construit sa propre identité et comment nous choisissons nos étiquettes.

C’est important d’aborder ces thématiques afin de faire évoluer les mentalités. Cela prend du temps encore et ton documentaire sera une façon de libérer la parole, de contribuer à avoir une société inclusive et de rendre notre monde meilleur. Je te remercie énormément Aïcha pour cet échange qui a été plus qu’enrichissant et à bientôt pour la suite !

Merci encore pour cette opportunité. À bientôt !

© Aïcha Morin-Baldé - Behind the scenes - Paul Evra, protagoniste de Nourrir Les Rêves, Mars 2021.jpg
© Aïcha Morin-Baldé – Behind the scenes – Paul Evra, protagoniste de Nourrir Les Rêves, Mars 2021

 

Retrouvez Nourrir Les Rêves sur la plate-forme de Hot Docs.

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